Prétentions n les métiers artisanaux tentent de survivre aux «inventions modernes et sophistiquées». Du haut de ses quatre-vingts ans, cheikh El-Hachemi se laisse caresser par les rayons d'un doux soleil de janvier. Au cœur de Sidi Djeliss, un quartier de la médina de Constantine, l'octogénaire est assis à même le sol sur une minuscule paillasse en alfa, adossé à une murette chancelante. Le vieil homme paraît captivé par le bruit du maillet de l'homme qui s'affaire dans la petite chaudronnerie voisine, un des derniers symboles vivants de ces vieux métiers en voie d'extinction. «Ce bruit devenu familier m'aide à régénérer ma mémoire et à aiguiser mes souvenirs, même si je n'ai jamais mis les pieds dans cette chaudronnerie», lance-t-il. Le son du marteau de l'artisan monte jusqu'aux oreilles des élèves de l'ex-collège Jules- Ferry, actuellement CEM Chahid Ould-Ali, et envahit les alentours de la fontaine séculaire Aïn Sidi-Djeliss. Dans la chaudronnerie, le maître des lieux, un sexagénaire répondant au nom de Mohamed Loucif, plus connu sous le sobriquet de Ammi Hammouda, s'accommode des vieux objets hétéroclites qui jonchent le sol bosselé de sa boutique, débordant jusqu'à l'extérieur. Des s'ni et sinia (plateaux de cuivre ciselé), des kirouana (petites bassines en métal), des tandjra (récipients où l'on chauffait de l'eau) et des qattar, alambics servant à égoutter l'eau de rose et de fleur d'oranger, se dressent à même le mur et attendent d'être réparés, soudés ou ré-emboutis pour être trempés dans une matière argentée. C'est cela le métier de Ammi Hammouda, une sorte de cuivrier-chaudronnier. Une forge est l'unique mobilier de la petite et sombre échoppe qui lui sert d'atelier. Je suis enclin à travailler uniquement certains ustensiles comme la gaça'a (sorte de grande bassine en cuivre où on lavait autrefois le linge), la kirouana et le s'ni, dit-il. Cheikh el-Hachemi, enchanté de se voir offrir une occasion de découvrir la source du bruit qui rythme ses somnolences quotidiennes, est accroché aux lèvres de Ammi Hammouda. Ce dernier, d'abord étonné d'être le centre de cet intérêt soudain, devient intarissable : «Les inventions modernes et sophistiquées, comme la machine à laver, sont beaucoup plus faciles à utiliser et moins contraignantes, ce qui a précipité le changement des mœurs et le remplacement des objets d'art. Mais Dieu merci, beaucoup de gens, à Constantine, restent attachés aux traditions héritées des ancêtres, ce qui me permet de vivre.» Il se saisit à nouveau de son maillet et reprend sa besogne. Cheikh el-Hachemi, lui, retrouve son muret. L'atmosphère fait ressurgir des souvenirs qui lui font revivre le moment où Sidi Djeliss et ses alentours pullulaient d'artisans comme les maréchaux-ferrants, les ferronniers, les ramoneurs, les forgerons, les dinandiers et les chaudronniers. Le monde grouillant et plein de vie de la médina constantinoise, où l'ardeur bruyante des artisans cadençait le brouhaha ambiant, est révolu. «Aujourd'hui, les machines ont remplacé la main de l'homme et les personnes, qui ont d'autres préoccupations, vivent différemment et plus vite. Je suis sûr que c'est mieux ainsi», admet-il.