Attachement n Quelques artisans veulent, malgré tout, perpétuer une noble profession menacée par l'invasion débridée des chaussures bon marché importées le plus souvent de la lointaine Asie. Ces artisans occupent la très bien située place des Fouala, une aire rassemblant jadis de minuscules échoppes qui s'étaient spécialisées, jusqu'à la fin des années 1980, dans la restauration populaire, et depuis longtemps, lieu mythique de farniente et rendez-vous des supporteurs des deux principaux clubs locaux de football. Les vieux restaurateurs ont fini par céder, l'un après l'autre, la place aux cordonniers qui se sont concentrés sur cet espace qui, bien que faisant partie intégrante des biens communaux, se retrouve par ailleurs un peu délaissé et en quête d'une bonne opération de réhabilitation de ses bâtisses et d'entretien des réseaux divers. Ammi Loucif et le jeune Yacine, dignes représentants de deux générations de cordonniers, ne s'y sont pas trompés en soutenant que la place Fouala, elle-même mitoyenne d'un vieux marché aux épices Rahba très fréquenté, occupe une position idéale au centre-ville, pour l'exercice de leur métier qu'ils considèrent, à juste titre, comme étant valorisant plutôt que dégradant. Yacine Benathmane, la trentaine bien entamée, a réparé sa première chaussure il y a plus de 15 ans. Il était alors le plus jeune de la place. La cherté des matières premières et l'invasion du marché par les souliers bon marché importés menacent aujourd'hui cette profession qu'il affirme avoir héritée de son père qui l'a lui-même reçue de son père au début du siècle passé. Mohamed Benathmane et El-Hachemi Benathmane, les deux frères aînés de Yacine, étaient, eux aussi, cordonniers avant de rejoindre les rangs de l'ALN pendant la Guerre de Libération et finir en martyrs. Cordonniers de père en fils, c'est sans doute cela qui fait que le lien de Yacine avec ce métier est devenu avec le temps proprement «viscéral», selon ses propos. Entré dans la profession depuis près de 35 ans, Loucif Sadek considère, pour sa part, que la cordonnerie a perdu de son lustre d'antan et ne survit que grâce à la ténacité des artisans. Il se souvient, avec un brin de nostalgie, du temps où les familles des futures mariées se bousculaient devant son échoppe pour arracher une de ses babouches cousues main et brodées avec de la soie. Septuagénaire, Mohamed Hadadi affirme, lui, continuer à fabriquer, sur commande, des chaussures en pur cuir à une clientèle fidélisée. A 1 200 DA la paire, ses produits se vendent bien, même si la cherté de la matière première ne lui permet pas d'obtenir des rendements substantiels. Ni une qualité irréprochable. Ce qui le démobilise parfois c'est le fait – avéré et déploré par tous – que l'activité se révèle de moins de moins rentable, dit-il sans vraiment laisser apparaître des signes de résignation ou de pessimisme outre mesure quant à l'avenir de l'activité. Dans les cités batnéennes de Bouakal, Kéchida et Lambarika comme dans certaines communes environnantes, le nombre des boutiques de cordonniers semblent, d'ailleurs, en hausse alors même que la Chambre de l'artisanat et des métiers ne dénombre officiellement que 19 immatriculations dans toute la wilaya, alors que d'autres exercent vraisemblablement le métier sans adhérer à cette institution. Interpellés à ce propos, plusieurs artisans cordonniers jugent «sans aucune utilité» la possession d'une carte d'artisan synonyme seulement, selon eux, de charges financières supplémentaires et sans contrepartie significative.