Mailfert est un célèbre faussaire. Il excellait dans l'imitation de meubles anciens. Il avait même réussi à créer de toutes pièces un ébéniste du XVIIIe siècle totalement imaginaire, dont les meubles étaient entièrement fabriqués par ses soins. Un jour, un antiquaire demande à notre artisan une commode en bois de rose, marquetée et ornée de bronzes dorés, qu'il paye 25 000 F (de l'immédiat après-guerre). Puis il demande à ce qu'on livre le meuble, de nuit, dans un château de la Loire, propriété privée réputée pour la beauté de son mobilier. Il faut préciser que l'antiquaire est un ami personnel du propriétaire des lieux, et qu'il sait que celui-ci est absent pour un assez long voyage. En outre, cet antiquaire est dans les meilleurs termes avec le régisseur et il a prévu, avec l'accord de ce dernier, de faire visiter le château à un Américain de passage. Le jour de cette visite arrive et, comme par hasard, l'Américain tombe en arrêt devant la commode de Mailfert. Il faut dire qu'elle a été disposée dans un salon où elle est particulièrement mise en valeur. Un vase Médicis orné d'un somptueux bouquet de fleurs, un ou deux bronzes de la Renaissance sont posés dessus. L'Américain, qui a du goût, s'extasie : «Quelle merveille ! Croyez-vous que votre ami consentirait à se défaire de ce meuble ? — Mon Dieu, ça m'étonnerait. — Pourtant ne m'avez-vous pas dit qu'il traversait une mauvaise passe en ce moment ? — Ah oui, vous voulez parler de son banco malheureux au Casino de Deauville ? Effectivement, il y a laissé des plumes. Si vous voulez, je lui en parlerai. Après tout, s'il consent à vous céder sa commode, je suppose qu'on pourra la remplacer par une copie du faubourg Saint-Antoine, le principal étant que le décor du château reste inchangé.» Dans les jours qui suivent la visite, l'antiquaire téléphone à l'Américain : «Mon ami est d'accord pour vous vendre sa commode, un meuble de famille auquel il tenait beaucoup mais, après tout... Il en voulait 800 000 F. Je crois que vous faites une bonne affaire. Cependant, il y a une condition : vous ne devrez jamais mentionner à personne l'origine de votre achat.» L'Américain, grisé par le fait d'acheter un meuble dans l'un des célèbres châteaux de la Loire, promet tout ce qu'on veut. La commode est expédiée par une compagnie de transport jusqu'aux Etats-Unis. (à suivre...)