Croirait-on qu'il existe un meuble que l'on puisse nommer «le meuble le plus célèbre du monde» ? Et pourtant, il existe. Ce meuble est un bureau à cylindre et, dès sa création, on l'a nommé «bureau du roi». Si chaque objet connaît une aventure, celle de ce bureau est une aventure glorieuse. Nous sommes en 1760 et Louis XV, le Bien-Aimé donne l'ordre de construire pour lui un secrétaire qu'il veut prestigieux. L'ordre est reçu par le chevalier de Fontanieu qui occupe la charge d'intendant des meubles de la Couronne. «Sire, serait-il agréable à Votre Majesté que je confie cette commande à Jean-François Œben ?» —Excellente idée, j'aime beaucoup les créations magnifiques de cet ébéniste, et j'apprécie particulièrement son goût des mécanismes secrets et surprenants.» Œben a été l'élève d'un des fils d'André-Charles Boulle, le fameux ébéniste de Louis XIV. C'est grâce à cet enseignement qu'il a pu développer sa technique incomparable des mécaniques superbes. Le choix d'Œben se révèle d'autant plus intéressant que l'artiste est logé à l'arsenal de Paris. Cette situation géographique lui permet d'échapper entièrement aux contraintes que, sinon, les corporations d'ébénistes parisiens n'auraient pas manqué de lui imposer. Il est entièrement libre pour réaliser son projet. Mais l'accomplissement d'un ouvrage de cette importance demande de l'organisation et différentes étapes obligatoires. Ainsi que la collaboration de nombreux artistes excellant dans leurs spécialités respectives. Œben réalise des dessins, des maquettes, qui sont suivies d'un modèle réduit en cire, peint aux couleurs prévues pour le meuble définitif. Une fois l'accord du roi obtenu, on passe à la phase suivante : la construction d'un bâti aux dimensions réelles. Sur ce bâti, on fixe des aquarelles qui donnent une idée des futurs panneaux de laque et des thèmes de décor choisis. Pour donner une vision encore plus fidèle du meuble on sculpte en plâtre les modèles des bronzes qui orneront le meuble. Le roi, qui suit le projet de très près, donne son avis tout autant que le chevalier de Fontanieu. On procède à des modifications. Tout cela demande du temps. Trois ans plus tard, on commence à avoir une idée plus précise de ce qui doit être un chef-d'œuvre de l'ébénisterie du XVIIIe siècle. Catastrophe : Œben meurt au bout de ces trois années. L'œuvre a cependant bien avancé. Le bâti définitif est achevé, certains bronzes sont fondus, plusieurs panneaux de marqueterie ont été réalisés. Œben laisse une veuve : elle n'a plus qu'à reprendre la direction de l'ouvrage. Heureusement pour elle, un ancien apprenti du regretté ébéniste travaille sur l'œuvre : Jean-Henri Riesener, d'origine allemande lui aussi, reprend le flambeau. Il fait même mieux puisqu'il... épouse la veuve d'Œben, sœur d'un autre célèbre ébéniste, Roger Van der Cruse, dit «Lacroix», qui signait ses propres œuvres RVLC. Riesener accède bientôt à la maîtrise et lui aussi est logé à l'Arsenal. Comme œben, il a le privilège de pouvoir engager autant d'ouvriers qu'il le juge bon, de créer lui-même les bronzes qui vont décorer ses meubles...