«Majesté, j'ai l'honneur de vous annoncer la visite de M. Jean-Joseph de Tavernier, votre fidèle sujet, qui revient de l'empire du Grand Moghol et désire soumettre à votre jugement une pierre merveilleuse qu'il rapporte de là-bas.» C'est à peu près en ces termes que Louis XIV apprend l'arrivée d'un aventurier qui revient de l'autre extrémité du monde, les poches pleines de joyaux. Joyaux que Louis le Grand l'a chargé de rapporter, au hasard de ses découvertes. Il faut dire que le sieur Tavernier, véritablement obsédé par les pierres précieuses, est un expert mondialement reconnu dès qu'il s'agit de diamants, émeraudes et autres rubis «Sire, durant tout mon long voyage de retour vers le royaume de France, je n'ai cessé de penser que le diamant que voici se doit d'orner quelque bijou de Votre Majesté. Il est le plus beau. C'est le Grand Moghol, Aureng-Zeb lui-même, qui m'a révélé son existence. Ce diamant a été offert par des croyants à une effigie du dieu païen Rama-Sita, effigie de jade qu'on adore dans la ville de Pagan. Après avoir quitté le Grand Moghol, je n'ai pas hésité et, en 1642, je me suis rendu moi-même au temple de Rama-Sita, sous le prétexte de faire mes dévotions à l'idole. J'ai pu repérer le diamant extraordinaire, qu'on avait incrusté dans la statue, sur la poitrine du dieu. Il resplendissait. J'ai attendu la nuit, et mes serviteurs n'ont eu aucun mal à réduire au silence les quelques mendiants qui sont les seuls à garder le temple la nuit. J'ai fait sauter le diamant d'un coup de la lame de ma dague et le voici, puisque Votre Majesté me fait l'honneur de s'intéresser à cette pierre.» Tavernier évite de préciser que, selon la légende, une malédiction éternelle doit s'attacher à l'audacieux, qui aurait l'impudence de s'emparer du diamant. Il enjolive peut-être aussi la manière dont il s'est procuré le diamant. Tavernier savait, moyennant finances, corrompre les petites gens qui avaient accès aux gros diamants... Le roi s'intéresse au «Diamant bleu». Mais il voudrait l'obtenir pour un prix que Tavernier estime dérisoire. De longues tractations sont entamées. Pour l'instant, le roi et son explorateur ne tombent pas d'accord. Tavernier se dit : «Personne ne résiste au roi. S'il veut le diamant de Rama-Sita, il l'aura, sauf... si quelqu'un d'autre l'achète avant.» Et il se met à réfléchir. Qui pourrait faire de la concurrence au Roi Soleil lui-même ? Pas de doute, une seule personne : le surintendant Fouquet ! Aussitôt dit, aussitôt fait. Après le roi Louis XIV, le surintendant Nicolas Fouquet, fastueux lui aussi, se voit proposer l'achat de ce diamant à nul autre pareil. Fouquet, qui ignore ou feint d'ignorer la malédiction bouddhiste, achète pratiquement sans marchander le Diamant bleu. En définitive, il semble que la malédiction agisse puisque, après une fête un peu trop somptueuse au château de Vaux, Fouquet est arrêté à l'instigation de Colbert, jugé avec partialité, et enfermé à la forteresse de Pignerol pour de longues années. Et Tavernier ? Lui aussi est poursuivi par la malédiction. Encouragé par ses rapines, et toujours désireux d'augmenter sa collection personnelle, il ne peut résister à l'envie de repartir pour les Indes. Il a plus de quatre-vingts ans quand il s'embarque pour ce pays enchanteur. Hélas pour lui, si l'Inde est riche en gemmes de toute beauté, on y rencontre aussi de superbes tigres ! L'un de ceux-ci attaque l'éléphant qui transporte le vieux voyageur français, et dévore le spécialiste en pierres magiques peu scrupuleux. (à suivre...)