Résumé de la 3e partie Elle arrache ses liens, elle s?habille et se traîne dans la rue. Assise sur le trottoir, elle arrive à héler un taxi. Alors je lui ai demandé où elle allait si vite. «Chercher quelqu?un que j?aime», m?a-t-elle dit. Si j?avais su, monsieur le président?» Pauvre témoin. Il a l?air outré. S?il avait su quoi ? Qu?il s?agissait d?un amour démoniaque, ainsi que le dira le procureur de la Reine ? Car il se passe, en cette cour, une chose étrange. On a oublié la victime. Elle est devenue prétexte, entité, on ne lui donne pas de nom, elle n?existe que dans la mesure où elle met en évidence la monstruosité de Bertha. Il n?y a qu?elle, Bertha, à se souvenir. «Je l?ai tuée, mais je ne voulais pas lui faire de mal. Je l?aimais. Je voulais vivre avec elle.» ? Vous n?avez pas pensé une seconde qu?elle préférait son mari ? ? Je ne pouvais pas y croire. Pas après notre existence à deux et ce que nous avions vécu. ? N?insistez pas sur cet aspect des choses. La Cour est suffisamment avertie et les jurés aussi. Dites-nous comment vous avez tué. ? Avec un coupe-papier qui traînait sur la table. C?est ce qu?on m?a dit. ? Pourquoi ? Vous ne vous souvenez pas ? ? Je ne sais pas. J?étais en colère, je voulais qu?elle revienne et elle, elle faisait semblant d?avoir oublié, de me reconnaître à peine. Je me souviens, elle riait, d?un petit air gêné, ridicule. J?ai vu rouge. Je ne sais rien de plus. ? Vouliez-vous tuer en arrivant ? ? Je ne voulais qu?elle. Bertha a le visage couvert de sueur, elle est grise, ses cheveux lui collent aux tempes. Cet interrogatoire a quelque chose d?indécent. Bien que nécessaire, il procure une impression étrange. Cette jeune fille, laide et mourante, semble déjà torturée par autre chose que les questions qu?on lui pose. Et l?observateur a envie de dire : «Condamnez-la puisqu?elle a tué, mais laissez-la tranquille, ça ne sert à rien tout ça, elle est malade, et à moitié folle, qu?on en finisse». Folle, oui. C?est ce que déclare le docteur Craig cité comme expert. «Elle était, au moment du crime, en proie à une démence telle qu?elle a réussi à enfoncer l?arme avec une vigueur démesurée. Un athlète professionnel n?aurait pas déployé autant de force que cette mourante. Pour accomplir un geste pareil, pour tuer sur le coup avec un simple coupe-papier, il faut une force ou une volonté exceptionnelle. Cette femme était hors d?état de distinguer le bien du mal, puisqu?elle était hors d?elle-même?» C?est fini. Il ne reste que la défense. Prouver que Bertha est mourante, qu?elle l?était déjà au moment du crime, est simple. C?est évident. En énumérant tous les avis des médecins qui ont soigné Bertha, son avocat espère obtenir les circonstances atténuantes. Et seulement cela. Car en Angleterre, le crime passionnel n?existe pas. Tuer est un acte impardonnable, quel qu?en soit le mobile. Les jurés se retirent, s?enferment une heure et quinze minutes. Il y a là des fermiers, des petits commerçants, un ou deux bourgeois du Devonshire. Ils regardent la civière que l?on ramène pour entendre le verdict. Bertha ferme à demi les yeux, elle semble dormir, épuisée. Ce sera la mort par pendaison. Elle ne réagit pas. Les circonstances atténuantes paraissaient acquises, pour le public et la presse. Nul n?imaginait que l?on allait pendre une mourante. Eux, l?ont voulu. Ce sont d?honnêtes Britanniques, issus du comté le plus puritain d?Angleterre. Et l?Angleterre se demande alors si ces puritains n?ont pas exigé la pendaison moins pour le crime que pour les amitiés particulières de Bertha Scorse. La reine lui accordera sa grâce. Ce sera la grâce de mourir, dévorée par la tuberculose et la demi-folie, quelques mois plus tard. Mais l?affaire Scorse est née. Des polémiques s?engagent, juridiques et passionnées. Le procès de Bertha devient ce que l?on appelle une cause célèbre. Avec une restriction. Si l?on interroge les juristes en Grande-Bretagne, ils précisent : c?est un cas «plus ou moins» célèbre chez nous, un cas «particulier». Plus ou moins, et particulier. C?est normal pour une meurtrière plus ou moins femme, plus ou moins responsable, aux amours plus ou moins particulières.