Constat n Chaque exposition qui lui est consacrée le confirme un peu plus : le produit de l'artisanat traditionnel glisse doucement mais sûrement de l'utilitaire vers le décoratif. Le salon qui se tient actuellement au Palais de la culture Malek-Haddad ne déroge pas à la règle. Hormis les habits de fête, dominés par l'incontournable gandoura constantinoise, la majorité des produits exposés ont, en effet, un caractère éminemment décoratif. Les articles de dinanderie, spécialité constantinoise par excellence, ont trouvé dans le décoratif un refuge. C'est tant mieux dans un sens, car le prix exorbitant du cuivre ne permet plus de le gaspiller pour la production d'articles qui étaient souvent reproduits de manière semi-industrielle et teintés de blanc pour l'usage domestique. «Avant, note avec pertinence un exposant, la mariée réservait tout un fourgon rien que pour le transport des articles en cuivre de son trousseau», mais aujourd'hui la tendance est pour l'art où la qualité de l'objet l'emporte sur son volume et son utilité. Les artisans visent d'abord – et c'est légitime – à augmenter leur chiffre d'affaires, en optant volontiers pour les vases géants finement ouvragés pouvant décorer une entrée de villa, les lustres impressionnants par leur taille et leur sculpture, les plateaux et les meïdas sculptées, les tadjines qui servaient autrefois à cuire les repas de fête, des fruitiers finement ciselés, etc. Bien d'autres ustensiles, autrefois utilitaires, se sont reconvertis dans le décoratif, soit de luxe soit sous forme de petits bibelots pratiques à emporter en guise de souvenirs et à la portée des petites bourses. Les couscoussiers en cuivre, les alambics ou qattar, pour la distillation des roses et des fleurs d'oranger, et même le plateau qui a toujours sa place sur la meïda constantinoise, se déclinent maintenant, sous forme miniaturisée pour pouvoir mieux se rappeler au bon souvenir des nouvelles générations qui n'ont pas eu l'occasion de les connaître du temps où ils étaient encore «en activité», ou pour mieux se faire connaître des enfants du pays nés outre-mer. Le travail du cuivre recouvre cette technique du «cuivre repoussé» où la feuille de ce métal sert de matériaux pour reproduire, sous forme de bas reliefs, des scènes de monuments, des portraits ou pour miniaturiser des objets artisanaux. Le mejboud ou broderie au fil d'or, une autre spécialité qui fait la réputation de Constantine, même s'il est encore en vogue dans l'habillement traditionnel toujours prisé par la gent féminine, se retrouve dans des tableaux décoratifs pour calligraphier des sourate du Coran ou autres représentations en écriture arabe connue pour constituer une source d'inspiration inépuisable pour bon nombre d'artistes plasticiens. «Si cette propension à tabler sur le décoratif pouvait contribuer à la préservation du patrimoine artisanal constantinois, je signerais tout de suite», lance le vieux Hammouda, dinandier de son état, exerçant au cœur de la vieille-ville depuis plus de cinquante ans.