Héritage n Le bon vieux moulin en pierre continue d'occuper une place de choix parmi les ustensiles traditionnels des ménages de la région, et ce, malgré l'usage accru du moulin électrique. C'est surtout dans les régions rurales où ce moulin séculaire, appelé ici tahouna, conserve son utilité quotidienne, alors que dans les villes il perd chaque jour du terrain chassé par la «modernité», mais aussi par des planchers de plus en plus recouverts de «dalles de sol» ou de carreaux de marbre, trop fragiles pour une mécanique aussi lourde. Contre son usage généralisé en ville, il y a aussi le fait que le bruit provoqué par ce volumineux concasseur est reconnu comme une nuisance sonore incompatible avec la vie dans les immeubles collectifs. Le moulin en pierre se compose de deux meules monolithiques pesant à peu près six à sept kilos chacune. Sur la meule de base, on fixe un axe de bois par lequel on introduit la meule mobile au travers d'un trou aménagé en son centre. Un poignet est fixé sur la meule mobile, ce qui permet d'actionner un mouvement rotatif qui écrase les grains préalablement introduits par poignées successives par l'ouverture du milieu. L'objet est ainsi toujours présent dans les maisons individuelles, y compris dans les grandes agglomérations, et semble indispensable pour broyer un tas de bons produits de la cuisine comme leklila (fromage sec), toutes sortes d'épices, blé, orge, dattes sèches..., se félicite la présidente de l'association locale «Patrimoine et tourisme», Mlle Hizia. Les ménagères biskries s'en servent aussi, selon elle, pour des préparations à usage cosmétique telles que le khôl (fard de couleur sombre pour le contour des yeux) ou le henné, ou encore pour obtenir des solutions thérapeutiques destinées au traitement de certaines infections cutanées. Certains mets chers aux habitants de la région (dchichet lekfrik, dchichet el-mermez, rouinet tmar) demandent, eux aussi, l'utilisation du moulin en pierre. Et lorsque le moulin est introuvable chez la voisine, on doit patienter le temps que l'ustensile prêté retourne de son périple. Dans une cité d'habitation, ceux qui possèdent le fameux broyeur sont connus de tous et il est impensable, dans la tradition, qu'ils ne le prêtent pas avec bonne grâce à leurs voisins à chaque fois qu'ils en reçoivent la demande. De toute façon, l'objet retournera sûrement à son propriétaire accompagné, en guise de remerciements, d'un morceau de savon, d'un flacon de parfum ou encore d'un peu du produit broyé. Pour la légende, le vieux moulin est considéré ici comme un «porte-bonheur» et, en tout cas, la «preuve» que le ménage qui y recourt a le bon goût de conserver toute l'année les provisions issues de la précédente récolte. Le professeur Rahmouni, qui s'intéresse à la culture populaire dans les Ziban, rappelle à ce propos la propension de poètes populaires de la région à utiliser la symbolique du «moulin dormant» pour signifier l'épuisement imminent des provisions, et celle du «moulin vivant» pour souligner l'abondance des récoltes et l'opulence qui va avec. Côté fabrication de cet outil ménager, un artisan de la localité de Banyane spécialisé depuis trente ans dans ce métier, Ahmed Ghazal, fait savoir que son village abrite encore quelques-uns des plus vieux ateliers de taille et de polissage des meules dont la matière première, la pierre, est soigneusement sélectionnée et travaillée avant d'être montée. Le premier responsable local de l'Agence nationale de gestion des microcrédits (Angem), Hakim Yahia, affirme, pour sa part, que son agence aide les artisans tailleurs de pierre à accéder à des crédits et à des locaux adaptés leur permettant d'ouvrir de vrais ateliers, une façon comme une autre d'assurer la pérennité de ce savoir-faire ancestral.