Transformation n 30 ans après, les villages socialistes sont devenus des… villages tout court. Souidania, au cœur de la Mitidja. A quelques encablures de la ville qui se développe à un rythme vertigineux, se trouve la village socialiste. Comme les quelque 350 hameaux construits dans les années 1970 dans le cadre de la révolution agraire, il n'est pas baptisé. Les habitants se contentent de le désigner par le vocable vague d'el-qaria, «le village», abréviation de qaria filahia, village agricole. 30 ans après sa construction, le décor y est presque le même. Les rues sont toujours tout aussi spacieuses et les petites maisons gardent leur architecture typique. Des habitations d'un seul niveau, recouvertes de tuiles rouges et munies de courettes clôturées. Depuis quelques années, des constructions élevées poussent cependant çà et là, contrastant avec la simplicité et la sobriété du village. «Ce sont des fellahs reconvertis dans d'autres créneaux qui se sont mis à ériger des étages sur leurs anciennes habitations. D'autres viennent à peine de débarquer et ont pu avoir, grâce à leurs relations, des autorisations de construire», explique ammi Mohamed, l'un des tout premiers agriculteurs à s'installer au village au début des années 1980. Des propos du septuagénaire, on devine aisément que la plupart des occupants ont gardé les habitations en l'état. Ce n'est pas par souci de préserver l'architecture originale, mais c'est surtout à cause du manque de moyens financiers. «Nous arrivons à peine à couvrir les frais de la vie quotidienne. Ceux qui ont investi d'autres créneaux arrivent à se débrouiller, mais pas nous.» Le vieux fellah fait allusion à ceux qui sont restés fidèles à la terre jusqu'à la retraite. La pension qu'ils perçoivent est, pour le moins, dérisoire en ces temps d'inflation et de hausse vertigineuse des prix. Parfois, elle ne dépasse pas 3 000 DA. Pour ammi Mohamed, c'est la désillusion. Après avoir entrevu une lueur d'espoir au lendemain du lancement de l'ambitieuse révolution agraire, au début des années 1970. «Nous avons réellement cru que notre situation allait s'améliorer. Je ne dirais pas que ce ne fut pas le cas, mais je n'ai jamais imaginé qu'à la fin de mes jours je me retrouverai à vivoter avec une pension de misère.» Notre interlocuteur reconnaît que le projet de feu Houari Boumediene lui a permis au moins d'avoir un toit décent avec toutes les commodités dont il n'avait jamais rêvé, lui qui a passé sa jeunesse à trimer du matin jusqu'au soir chez les colons moyennant quelques francs. Il se rappelle le jour où il a pris possession de sa maison avec beaucoup de nostalgie. «J'habitais une baraque d'une seule pièce avec ma femme et mes trois enfants. Sans transition, je me suis retrouvé dans une belle petite maison individuelle. Un F3. Deux chambres, une salle de séjour, une cuisine, une salle de bains, l'électricité, l'eau courante… C'était beaucoup pour quelqu'un qui s'éclairait à la bougie et qui faisait quotidiennement la corvée d'eau», affirme-t-il, reconnaissant. A ceux, nombreux faut-il le dire, qui critiquent aujourd'hui le principe même de la révolution agraire, ammi Mohamed rétorque que l'erreur a été, au contraire, l'interruption du programme qui a fait qu'aujourd'hui, les villages agricoles sont devenus des villages tout court.