Souffrance Nadia est à terme. Elle est obligée de quitter le domicile familial et d?aller à Skikda chez le gynécologue conseillé par sa mère. Elle prend le train. La pauvre fille, ballottée par le mouvement du wagon, tous les muscles tendus, prend son courage à deux mains, avec pour seul but d?arriver chez le docteur. «Mon Dieu, prie-t-elle, faites que j?arrive avant que?» Et elle n?ose finir sa phrase, terrorisée à l?idée d?accoucher dehors, dans le train, ou dans la rue? Une pluie fine tombe sur Skikda, quand elle sort de la gare, mais elle doit retourner rapidement aux toilettes. Affolée, elle s?aperçoit qu?elle vient de perdre les eaux. Les douleurs reprennent, de plus en plus terribles et, à un moment, elle est tentée de mettre au monde son enfant là, sur le carrelage nauséabond.? Sa bouche est sèche, elle transpire abondamment. Mais une ultime pensée la galvanise : «Je n?ai pas le droit de laisser mourir cet innocent, le docteur va prendre soin de lui et me délivrer? Il suffit d?arriver jusque chez lui.» Elle attend encore un long moment, les genoux sur le sol, puis elle se lève et repart courageusement. Devant la gare, elle arrête un taxi et tend l'adresse au chauffeur. Il pleut maintenant à verse. ? Vite, s?il vous plaît ! Le chauffeur de taxi, qui s?aperçoit de son état, fonce jusque dans une ruelle où il la dépose devant une grande porte en fer. ? C?est là, bon courage, madame. Et il repart aussitôt. Pliée en deux, les mains entourant son ventre, Nadia, éperdue de douleur, franchit les quelques pas qui l?amènent jusque sur le perron du médecin. Elle sonne une fois, deux fois, trois fois. Personne ne vient ouvrir. Puis elle colle un long moment son doigt sur la sonnette, en y mettant toute ses forces, toute sa vie. Un long silence lui répond. Alors, désespérée, elle s?assied sur une marche et attend. «Il est parti déjeuner, il va revenir bientôt.» Puis, à mesure que le temps passe, ses douleurs diminuent. Une envie irrésistible de dormir s?empare d?elle. Mouillée jusqu?aux os, c?est à peine si elle s?aperçoit qu?elle a une hémorragie. De plus en plus, elle se sent flotter, comme sur un nuage. Quand elle reprend ses esprits, elle serre les genoux, reprend son sac et songe : «Il va venir, c?est sûr, je n?ai qu?à l?attendre ici.» La ruelle est déserte, ajoutant à sa solitude. En bas des marches, une filet de sang, mêlé à l?eau de pluie, forme une petite flaque pourpre. «Il va arriver, le docteur, et je finirai de souffrir.» Et elle ferme à nouveau les yeux, enfoncée dans le coin de la lourde porte? Ce n?est que vers la fin de l?après-midi qu?une passante la découvre sans vie, déjà froide, recroquevillée sur la marche, les doigts fermés sur le bout de papier griffonné par sa mère.