Référent n Dans la tradition populaire, Bouamrane passe pour un sage aux paroles éclairées, mais on utilise aussi son nom pour stigmatiser les beaux parleurs. L'Algérie a connu beaucoup de sages, des hommes et des femmes hors du commun, qui, par leurs conseils et surtout leur vie exemplaire, ont marqué la culture populaire. Nous avions cité, dans nos précédents articles, Bent al-Khas, la fille du désert, aujourd'hui nous allons évoquer une autre figure de légende, cheikh Bouamrane, connu dans toute la Kabylie. Sa sagesse a souvent été comparée à celle de Loqman, sage oriental, dont l'histoire est évoquée dans le Coran, dans la sourate qui porte son nom. On peut le comparer également à Esope, le fabuliste grec, peut-être d'origine africaine. Si on se rapporte au portrait du fabuliste, on remarque des ressemblances entre les deux hommes : on dit qu'Esope est brun, maigre et accablé de difformités, on dit que Bouamrane était maigrichon, laid et noiraud. Mais ils n'étaient pas moins célèbres pour leur sagacité et leur sagesse. Dans la tradition populaire, Bouamrane passe pour un sage aux paroles éclairées, mais on utilise aussi son nom pour stigmatiser les beaux parleurs. — Lui, dit-on, il a la bouche comme Bouamrane, mais c'est un bras cassé ! Quant à l'idéal, c'est d'avoir la bouche comme Bouamrane (c'est-à-dire savoir parler, dire des propos sensés) et être actif ! Comme pour Bent al-Khas et Esope, l'existence de cheikh Bouamrane est hypothétique. Pour beaucoup d'auteurs, il ne s'agirait que d'une figure légendaire à laquelle on attribue des récits sapientiaux. Mais pour le peuple, le personnage a bien existé et les histoires qu'on rapporte de lui sont vraies. La tradition donne à Bouamrane un ami, prénommé Hammad. Il est aussi beau que Bouamrane est vilain, mais c'est un garçon naïf, que les gens prennent du plaisir à rouler. Bouamrane le secoue souvent. — Qu'as-tu donc à te comporter de la sorte, le premier venu te berne ! — Ce n'est pas ma faute, je fais trop confiance aux gens ! — Il faut faire confiance à qui mérite ta confiance ! — Les gens sont si méchants ! — Il faut te méfier des méchants ! — Mais beaucoup de gens viennent avec un visage avenant, ils me trompent par leurs discours et c'est seulement une fois trompé que je me rends compte de mon erreur ! Si j'ai bien compris ton conseil, je ne dois plus faire confiance à personne, je dois me douter de tous, rejeter tous ceux qui viennent vers moi ! — Non, je n'ai pas dit cela ! — Je ne comprends pas ! Et Bouamrane de déclarer : — Donne à chacun de l'importance, écoute tous ceux qui viennent te consulter ou te demander quelque chose, mais sois toujours sur tes gardes, n'accorde pas toute ta confiance, garde en toi un doute. — Même ceux que je connais bien ? — Surtout ceux que tu connais bien ! Ne dit-on pas que la brebis a été trahie par les siens ? Ne dit-on pas que le frère a vendu son propre frère ? (à suivre...)