Karatepe est un des villages situés dans l'enceinte de la Réserve Nationale, rattaché au district de Kadirli, sous-préfecture du département d'Adana, au sud de la Turquie. Les habitants appartiennent, par leur patois et leurs traditions, au groupe nomade turkmène sédentarisé dans la région au XIXe siècle. Nous présentons ici une vingtaine de récits qui ont pour héros les gens de Karatepe. Ceux-ci sont célèbres, à cause de leur naïveté et de leurs idées plus ou moins farfelues qui éveillent l'hilarité. On pourrait penser que ces anecdotes ont été créées par les villageois des localités voisines afin de les discréditer mais ce n'est pas le cas. Toutefois il est difficile d'affirmer l'origine exacte de ces histoires. Plusieurs villages anatoliens portent ce nom et des récits du type de ceux qu'on lira ici sont contés aussi bien pour le Karatepe de Kadirli que pour celui voisin de la région de Karsanti, et parfois même pour celui d'Erzurum. On peut également entendre ces mêmes histoires attribuées à toute autre population. D'ailleurs ne rencontre-t-on pas un comportement semblable un peu partout à travers le monde, ainsi pour les Irlandais en Amérique, les Ecossais en Angleterre, les gens le Saint-Saulge et Marseille en France, les gens de Ratot en Hongrie, ceux de Mazenderan ou Kazvin en Iran, les Lazzes en Turquie, les Bosniaques en Yougoslavie. Les récits de ce genre, tout comme les proverbes, sont des narrations stéréotypées adoptées par des communautés diverses parfois très éloignées les unes des autres. La forme narrative est alors utilisée avec certaines variations, dues aux contextes historiques et géographiques, ainsi qu'à la restitution des noms de lieux et de personnes. Il faut noter que si l'on se trouve dans ces pays où les a «héros» ont cette réputation «insensée», on constate qu'ils ont autant de bon sens que ceux qui les raillent avec un sentiment de supériorité intellectuelle. Il est prudent de considérer les histoires rapportées sur les gens de Karatepe, non pas comme l'indice d'un comportement d'une communauté déterminée, mais plutôt comme le reflet de l'être humain en général. On y retrouve amplifiées ses divagations, ses fantaisies, ses bêtises, son imagination. Il est difficile de savoir pourquoi les auteurs de ces histoires choisissent pour les situer un certain lieu ou une certaine communauté ? Il est amusant de signaler que ces histoires sont contées avec le même enthousiasme et la même ironie par ceux-là même qui sont l'objet de la plaisanterie qu'elles comportent, c'est pourquoi, les paysans de Karatepe sont les premiers à en rire. l'homme de Karatepe vit avec les souvenirs d'un ancien nomade turkmène. Il a les traits du paysan ou du berger sédentarisé sur des terres situées entre la montagne et la plaine, la forêt et les champs. On le retrouve aujourd'hui sous les traits d'un cultivateur de Tchoukourova, vaste plaine où on fait la culture du coton, que ses pérégrinations mènent jusque dans les montagnes des Taurus, haut-lieu des alpages. Il est le type du paysan turc, courageux et fort, se défiant lui-même en même temps que ses semblables et s'exposant pour cela aux flèches de la satire. (à suivre