Dans un terrain déjà balisé par Washington, la course à la succession du dirigeant en fuite est ouverte. «Autorité irakienne d'intérim», c'est le nom choisi par les Américains pour l'administration qui prendra le relais à Bagdad après la chute précipitée du régime de Saddam Hussein. Avant même de prendre forme, la tâche s'annonce difficile. Les prétendants au pouvoir se multiplient jalonnant le risque du réveil des animosités ethniques. L'assassinat de Abdel Majid al-Khoï, chef chiite modéré et pro-occidental, à Najaf, la ville sainte chiite au sud de Bagdad, renseigne du degré de ces animosités. Quel sera le candidat qui pourra faire le consensus entre les Arabes, les kurdes, les sunnites et les chiites tout en étant le croupion de Washington? Le nom du premier prétendant à cette succession, Ahmed Chalabi, soutenu par le Pentagone, est contesté à la fois par les Irakiens et le département d'Etat américain. Plusieurs mouvements aimeraient cueillir les fruits de leur longue opposition au régime de Saddam Hussein. Aussi la lutte sera-t-elle serrée entre les Kurdes et les chiites. La «libération» n'est pas perçue de la même manière par les Kurdes et les chiites. Tandis que les combattants chiites étaient tenus à l'écart des combats dans le sud, les Américains ont bien été contraints de s'associer les Kurdes dans le nord, faute d'avoir pu acheminer par la Turquie des renforts en hommes. Après avoir contenu pendant plusieurs jours la course vers Kirkouk, les combattants kurdes ont pris la ville proclamée future capitale voilà plusieurs mois par les deux grandes organisations kurdes, le Parti démocratique (PDK) et l'Union patriotique (UPK). Pressés d'en finir avec le régime de Saddam, les Kurdes ont mis en sourdine la revendication indépendantiste. Cependant, nombre d'observateurs estiment que la question finira par se reposer en faisant valoir qu'ils forment la plus importante communauté ethnique au monde n'ayant pas son Etat. Cependant ils doivent faire face à une autre donnée : les Turkmènes du Kurdistan irakien s'inquiètent de la prise de contrôle des villes de Mossoul et Kirkouk par les forces kurdes. D'ores et déjà. Ils rejettent toute idée de domination kurde sur une région qu'ils considèrent aussi comme la leur. Les Turkmènes dont le nombre est estimé à plus d'un million, soit 5 % de la population irakienne, constituent le troisième groupe ethnique en Irak, après les Arabes et les Kurdes. Dans cette querelle, la Turquie a pris fait et cause pour les Turkmènes, dont elle partage la langue. En outre il y a Abdel Aziz al-Hakim, de l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii) basée à Téhéran, et qui dispose de plusieurs milliers de combattants. Il se considère comme le mouvement le plus représentatif de la communauté chiite, majoritaire en Irak, et souhaite un rôle proportionnel à cette importance. Mais Washington, qui se méfie des liens de l'Asrii avec l'Iran, ne semble pas vouloir en faire son principal interlocuteur chiite. Le groupe collégial a été rejeté par deux personnalités qu'il avait sollicitées: Iyad Allawi, du Mouvement de l'accord national, et l'ex-ministre des Affaires étrangères, Adnan Pachachi, revenu récemment sur la scène politique pour diriger une alliance affirmant parler au nom des «démocrates» indépendants. Pachachi, un octogénaire qui vit en exil à Abou Dhabi, est considéré comme le plus crédible représentant des musulmans sunnites d'Irak, dont la participation au pouvoir est souhaitée non seulement par les sunnites irakiens mais aussi par les régimes arabes sunnites voisins. D'anciens officiers irakiens, parmi lesquels Nizar al-Khazraji, Fawzi al-Shemmari et Najib As-Salhi, sont toutefois pressentis pour assumer le même rôle que le président afghan. Dans les heures qui ont suivi la chute de Bagdad mercredi, un mouvement jusqu'ici inconnu, le Groupe républicain irakien (GRI), a affirmé avoir joué un rôle primordial dans l'effondrement du régime de Saddam Hussein.