En cette belle et chaude journée du 5 août 1824, le conseil municipal de Bordeaux vient de prendre une décision historique : «Messieurs, c'est avec plaisir que je vous annonce que le conseil municipal décide l'érection, sur la place Louis-XVI, d'une statue représentant notre roi martyr, en hommage à la glorieuse dynastie des Bourbons.» Une salve d'applaudissements nourris accueille cette déclaration. Le préfet, le baron d'Haussez annonce : «Notre choix se porte sur le statuaire Nicolas-Bernard Raggi, qui est l'auteur d'une statue représentant le glorieux chevalier Bayard mourant, érigée en la bonne ville de Grenoble. M. Raggi est, d'autre part, je le signale, l'auteur d'un Hercule retirant le corps d'Icare de la mer qui a été admiré par les plus grands amateurs parisiens. C'est à cette occasion que notre roi chéri, Charles le dixième, l'a immédiatement décoré de la croix de la Légion d'honneur.» Ce détail arrache un murmure à l'assemblée : «La Légion d'honneur, à un civil, et qui plus est à un sculpteur ! Quel événement incroyable !» Le préfet poursuit : «Il est inutile de vous rappeler qu'il est aussi l'auteur de la statue Montesquieu méditant l'Esprit des lois, du palais de Justice de Bordeaux. Ceci serait en soi une référence suffisante s'il en était besoin.» Une nouvelle salve d'applaudissements salue cette précision. Le préfet continue : «Je vais donc lui écrire immédiatement pour lui demander ses conditions.» Quelques jours plus tard, Nicolas-Bernard Raggi jeune artiste originaire de Carrare, en Italie, à peiné âgé de trente-trois ans, reçoit à son atelier parisien la demande du préfet d'Haussez. Il répond au bout de quelques jours à cette commande prestigieuse : « Messieurs, J'ai déjà commencé l'ébauche du monument que vous avez eu la bonté de me commander. J'envisage de m'inspirer du célèbre tableau de M. Callet, représentant le défunt souverain debout, en habit de sacre. Pour être en harmonie avec les proportions majestueuses de la place Louis-XVI, la statue du souverain, d'après mes calculs, devra avoir une hauteur de 5,83 mètres non comprise la hauteur du piédestal.» Raggi ajoute : «J'envisage de demander au fondeur Crozatier de bien vouloir assurer la fonte de l'œuvre.» Mais Crozatier, quand on lui fait part de la bonne nouvelle, accompagne son acceptation d'un devis précis. Catastrophe ! Raggi, dans son enthousiasme, a mal calculé la quantité de bronze nécessaire. Crozatier réclame plus que ce qui était prévu au début... Raggi cependant, sans perdre de temps, continue l'exécution de la maquette en terre glaise. Pendant ce temps-là, la municipalité de Bordeaux pose la première pierre du piédestal et continue de discuter : «Nous sommes entièrement d'accord pour rendre hommage à notre défunt roi, mais le devis de MM. Raggi et Crozatier dépasse largement la première estimation. Deux cent mille francs...» Cependant, de fil en aiguille, tout le monde – municipalité et souscripteurs particuliers – tombe d'accord, mais nous sommes déjà en 1829 quand tout est prêt pour procéder à la fonte de la gigantesque statue, à la fonderie parisienne du Roule. Une foule nombreuse et élégante assiste à cet événement rare, intéressant et nostalgique. (à suivre...)