Un célèbre marchand d'armes anciennes se souvient d'une aventure qui lui est arrivée pendant la dernière guerre. Un collectionneur, qui désire se séparer d'une série de médailles de la Légion d'honneur, lui demande de venir sur place pour se rendre compte de la valeur de ses décorations. le marchand se rend donc à Dijon. Malheureusement, l'amateur se fait des illusions, à la fois sur la valeur intrinsèque des décorations et sur le prix qu'il peut en demander. le marchand parisien est déçu. Il ne lui reste plus qu'à attendre le prochain train pour Paris. D'ici là, que faire ? Compléter son érudition personnelle, par exemple. Et pour cela, quoi de plus intéressant que d'aller visiter le musée local ? Dans le musée, pratiquement désert, il s'attarde sur tout ce qui concerne sa spécialité : les armes. Le gardien, qui s'ennuie, engage la conversation : «Je vois que vous vous intéressez aux armes anciennes. Si par hasard vous êtes acheteur de quelques belles pièces, je connais un vieux monsieur qui vient de mourir. Ses héritiers cherchent à vendre sa collection, qui était magnifique. Si cela vous intéresse, j'ai leur adresse.» Bien sûr, une affaire éventuelle vaut mieux que la visite d'un musée, aussi charmant soit-il ! Notre commerçant décide donc d'aller rendre une visite impromptue aux héritiers. C'est à l'heure du thé qu'il se présente à leur domicile. Il s'agit des deux fils du défunt. leur accueil est sympathique, et ils expliquent clairement : «Notre père a passé son existence à collectionner les armes. Nous n'avons jamais eu le droit de toucher aux pièces qu'il a accumulées. Ce qui fait que cela ne nous intéresse absolument pas. Alors nous cherchons à vendre.» Le spécialiste visite l'appartement, estime la valeur de la collection. Il réfléchit à ce qu'il pourra en tirer, aux frais de transport, aux taxes, au bénéfice légitime, et propose un prix global pour l'ensemble. Les héritiers sont d'accord et reçoivent un acompte. Quelques semaines plus tard, la collection arrive dans la boutique parisienne. Il faut à présent examiner chaque objet avec soin. Parmi les pièces les plus importantes, une immense épée Renaissance. Le nouveau propriétaire tire l'épée de son fourreau. Ce faisant, il fait tomber sur le sol un parchemin. En lisant le manuscrit, il découvre que l'épée qu'il tient en main n'est autre que celle du bourreau de Saint-Gall, en Suisse, Saint-Gall, autrement dit, en suisse alémanique, Sankt Gallen, s'est construite autour d'une abbaye fondée par un moine irlandais. Plus tard, elle devient ville impériale et acquiert une réputation solide grâce à la fabrication de toiles fameuses au Moyen Âge. Il y a donc, pour cette ville, la nécessité d'une justice, et qui dit justice dit bourreau. Le parchemin raconte l'histoire de cette épée. Et donne un détail curieux : l'arme, après la cent et unième exécution, devenait automatiquement la propriété du bourreau. Et pour prouver que tout était en règle, le manuscrit donnait la liste complète de toutes les têtes «décollées» par la vaillante épée et le robuste bourreau. Sur la sinistre lame, on peut lire deux devises en vieil allemand. D'un côté : «Dieu, tu es le juge. Moi je ne suis que le valet.» L'autre côté porte ce souhait qui fait frémir : «Oh ! Seigneur, reçois dans ton royaume ce pauvre pécheur, par un coup réussi.» (à suivre...)