Préjugé n Contrairement à l'idée injustement répandue par des seniors bien planqués derrière leur retraite, les jeunes ne sont pas ces paresseux chroniques qu'on nous dépeint … L'incurie d'un système scolaire, par essence défaillant, en a jeté plus d'un dans les rues. Des centaines de milliers pour être exact. Sans horizon, sans débouché et sans espoir d'avenir, ils n'auront d'autre choix que de traîner du matin au soir, de tourner en rond ou de s'adresser aux murs de la cité. Pour «tuer» le temps. C'est ainsi que le «hittisme» est né. Certains jeunes s'essaieront au commerce informel, histoire de se faire une petite place au soleil, de creuser leur petit trou… Ils squatteront des trottoirs un peu partout pour vendre n'importe quoi. Ce sera tantôt des jouets made in China, des chaussettes en coton d'Indonésie, achetées en deuxième main, des sous-vêtements, des parfums, des eaux de toilette, des coffrets de maquillage, tantôt des costumes griffés ou de la layette pour enfants. Et quand l'espace le permet, quelques-uns monteront leur petit «chapiteau», à l'entrée même des marchés. Pas pour longtemps en général puisqu'à chaque apparition du fourgon de police, ils plieront à la hâte leurs marchandises et prendront leurs jambes à leur cou. Même ceux qui se contenteront d'un petit carton pour vendre des cigarettes au détail seront logés à la même enseigne, et tous de la même manière. Mais il faut croire qu'il y a des jeunes parfois vernis, qui sont nés sous une bonne étoile et question «peau» ils en ont plutôt à revendre. A partir d'un visa très facile à obtenir pour la Turquie et d'un pécule en euro, les voilà sillonnant les marchés et les bazars d'Istanbul à la recherche de la perle rare, introuvable au pays. Etoffes de luxe, appareils électroménagers, vêtements pour enfants, robes d'été, tenues de soirée, vaisselle, tout est bon à prendre et à revendre au bled. Deux, trois cabas, mais jamais plus. Les douanes veillent au grain. On trompe rarement leur vigilance. Il faut alors ruser, passer un cabas à un passager pour ne pas se faire remarquer et quand cela est nécessaire louer carrément ses services lorsque, lui-même, n'est pas trop chargé. De cabas en cabas et de vols en vols, des dégourdis ont réussi non seulement à fidéliser une clientèle de plus en plus nombreuse et de plus en plus variée au pays, mais à s'assurer également les services de fournisseurs au large du Bosphore. Grâce à ces jeunes pionniers, cette nouvelle filière du commerce extérieur va atteindre tous les pays du Golfe et du Moyen-Orient y compris la ville sainte de La Mecque. Mais là s'arrête l'aventure, la fiesta. Les contrôles de plus en plus rigoureux au niveau des aéroports feront trembler plus d'un «cabiste». Entre les marchandises saisies et les fortes amendes, les bénéfices fondent comme beurre au soleil et il faut souvent dire adieu au capital initial. C'est juste ? Peut-être bien. Ce n'est pas juste ? Sûrement. Mais les lois sont ainsi faites. Et puis, il faut bien protéger la production nationale et le pain des importateurs officiels qui, eux, paient des taxes, des impôts et qui, finalement, alimentent les caisses du Trésor public. Et que peut faire un pot de terre contre un pot de fer ? Rien, pas grand-chose… Sauf si ces jeunes se regroupent en coopérative ou en une centrale des achats… C'est, paraît-il, ce qu'a réussi à faire un gros groupe de commerçants syriens. Mais cela est une autre histoire. Une histoire qui prouve en tout cas l'extraordinaire capacité d'entreprise des jeunes…