Spécificité n Dans les grandes familles urbaines de Mostaganem dites «H'dar», le ramadan est d'abord et avant tout un mois exceptionnel qui est vécu de manière exceptionnelle. Déjà, dès la dernière quinzaine de chaâbane, la literie est lavée, essorée, séchée dans les maisons. Les chambres et surtout la cuisine sont rafraîchies et repeintes du plafond au plancher. Les plinthes cassées ou abîmées sont remplacées, la vieille vaisselle est rangée. Elle cédera la place à du neuf, du brillant et de l'étincelant. Tout est passé en revue et dans le moindre détail : cuvette qui fuit, mur qui suinte, robinet bouché, serrure forcée, etc. Parallèlement, les maîtresses de foyer ont déjà bouclé leur réserve spéciale destinée au ramadan faite de poires et pêches confites, compotes de pommes ou de cerises, mkhetfa, diouls, lentilles et autres pâtes et, bien sûr, les fruits hors saison dont elles gardent jalousement le secret de conservation. Une remarque à propos de ces vieilles familles qui font la réputation de la ville : elles ont chacune un ou deux invités attitrés et qui partagent avec elles la rupture du jeûne. A vie. Ces invités sont en général des Mostaganémois de souche, veufs et souvent sans progéniture ou dont les enfants sont mariés et installés à l'étranger. Ils connaissent tous les membres de la famille et se considèrent comme membres à part entière… C'est peut-être dans les souks et les marchés improvisés, qui naissent ici et là dans les méandres de la ville, que l'on sent le plus le souffle feutré qui donne à cette période de jeûne son relief particulier et son caractère spécifique. Cela vient peut-être des arômes, des épices, de la longueur des mouvements, de la nonchalance des corps. Pour donner du piment aux soirées du ramadan et les rendre plus utiles en plus des prières des taraouih, les familles organisent à tour de rôle chez elles une touiza particulière. Cette touiza, elle n'a pas d'autre nom à notre connaissance, consiste à «travailler» collectivement le trousseau d'une jeune fille ou du moins celle qui devra se marier juste près l'aïd. Chaque convive apporte à une pièce du trousseau sa propre technique aussi bien au niveau de la couture, du mariage des couleurs, des tailles, des festons , des ourlets et même un petit brin de fantaisie personnelle. Quand les convives sont intimes et familièrement très proches et qu'il n'y a pas de trousseau à revoir ni de jeune fille à marier, les hôtes vident leurs armoires à linge et invitent tout le monde à mettre la main à la pâte en recousant un bouton par-ci, et repassant une chemise par-là ou en pétrissant la pâte pour les gâteaux de l'aïd. En fin de soirée, tout est nickel, tout est propre. D'autres familles voient les choses en beaucoup plus grand. Question de moyens évidemment. Au lieu de faire appel à la «main-d'œuvre locale» pour effectuer les mêmes travaux de la maison, ils préfèrent carrément ouvrir leurs tables aux proches et à leurs beaux-parents ainsi qu'aux voisins les plus immédiats pour une grande soirée aïssaoua. Cette rencontre permet de raffermir les liens entre les membres d'une même famille de gommer certains préjugés et d'effacer certaines rivalités, bref des petites rancœurs et des petites misères. Dans les familles très riches et qui restent attachées à cette tradition, les danses rituelles menées au rythme de la ghaïta et du tambour impliquant naturellement tous les hôtes, hommes et femmes, chacun dans sa salle. Au cours de ces prestations qui font monter aussi bien la température ambiante que celle des nerfs mis à rude épreuve, tout danseur a droit d'aller jusqu'au bout de sa transe. Jusqu'au bout de ses forces.