Résumé de la 2e partie n L'abbé Pierre crée Emmaüs sa fondation, mais ne reçoit pas l'appui de l'Etat. C'est alors qu'il réussit à convaincre un journaliste du Figaro de publier une lettre ouverte faisant état du décès du bébé d'un sans-abri... Vous aurez votre article demain, en première page, sur quatre colonnes. Et, le lendemain, chacun peut lire le texte suivant à la une du Figaro : Monsieur le Ministre, Un bébé de trois mois est mort de froid, la nuit du 3 au 4 janvier, dans un vieux car, entre son papa et sa maman. Au même moment, l'Assemblée a rejeté l'amendement pour les sans-logis... C'est à 14 heures, jeudi 7 janvier, qu'on va l'enterrer. Pensez à lui. Ce serait bien, si vous veniez parmi nous à cette heure-là. On ne vous recevrait pas mal... On sait que vous ne vouliez pas cela. Venez... Ne dites pas non une seconde fois... Le 7 janvier 1954, un corbillard tiré par deux chevaux emporte un petit cercueil de bois blanc vers une église de Neuilly-Plaisance. En tête, devant les parents effondrés, l'abbé Pierre marche dans la neige, avec les ornements noirs des enterrements. Et soudain, ce que personne ne pensait pouvoir se produire, arrive. Une grosse voiture officielle frappée de la cocarde tricolore vient à la rencontre du cortège. La portière s'ouvre et un homme en descend. C'est Maurice Lemaire, c'est le ministre. L'abbé se porte à sa rencontre. Ils échangent quelques mots. — Je ne répondrai pas à votre lettre. Je ne veux pas de polémique. — Ce qui se passe ici est au-delà de la polémique. Et les deux hommes prennent place l'un à côté de l'autre derrière le petit cercueil. A l'issue de la cérémonie, Maurice Lemaire, bouleversé, promet l'édification de cités d'urgence. Mais si sa réaction est encourageante ce n'est qu'une promesse. Même réaction de la part de Mme la présidente, Germaine Coty, femme de René Coty, qui vient tout juste d'entrer à l'Élysée. Elle promet, elle aussi, de «s'occuper des plus défavorisés». Dans son édition du 9 janvier, le journal La Croix titre : «La mort d'un enfant vaudra-t-elle un toit à ses frères ?» C'est tout le problème et il se pose avec plus d'acuité que jamais. Car il n'est pas question de prendre des mesures à long ni même à moyen terme, mais d'agir dans les jours, voire les heures qui viennent. Les conditions climatiques s'acharnent, en effet, sur le pays. C'est la vague de froid la plus terrible que la France ait comme depuis 1880. II fait -15°C à Paris, -30°C en Alsace et il n'est pas prévu d'amélioration. Bien sûr, la lettre ouverte du Figaro a eu un certain retentissement, mais il en faudrait plus pour mobiliser une opinion publique largement inconsciente. Ceux qui couchent sur les grilles d'aération de métro ou sous les ponts – car les voies sur berges sont loin d'exister encore –, les clochards, sont considérés comme des figures sympathiques et pittoresques. Pour la majeure partie du public, ils ont librement choisi cette vie au grand air, synonyme de liberté. Ce n'est pas vrai, bien sûr. Ces milliers de gens qui errent à la recherche d'un toit ne sont pas des volontaires. Beaucoup pourraient se payer un logement, mais n'en trouvent pas. D'autres, au contraire, ont été expulsés parce qu'ils n'avaient pas payé le leur. Car – c'est incroyable, mais c'est ainsi – il n'existe pas, à l'époque, de moratoire des loyers en hiver. En ce mois de janvier 1954, on jette à la rue par -15°C des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Tous sont en danger de mort immédiat. Mais cela, il n'y a que l'abbé Pierre qui ait l'air de s'en rendre compte. Alors, il le crie et le crie encore. Il n'arrêtera plus de crier. (à suivre...)