Parmi les nombreuses curiosités naturelles situées sur le territoire de la commune mixte de B..., il faut citer en première ligne les profondes failles rocheuses que présente le sol. Ces failles, d'une constitution géologique toute spéciale, forment généralement de vastes cheminées, dont l'orifice est à fleur de terre : simple trou qui paraît sans importance et dont, pourtant, la profondeur est souvent insondable. Tantôt cet orifice est assez vaste pour figurer l'ouverture d'un puits, tantôt il est étroit, en forme de boyau et laisse à peine le passage nécessaire au corps du visiteur qui doit s'y glisser en rampant. Deux de ces abîmes sont surtout connus ; ce sont ceux des Ouled Zeïane et des Aït Attala. Situés à plus de 25 kilomètres l'un de l'autre, à vol d'oiseau, ils n'en communiquent pas moins, disent les indigènes. Ils racontent à ce sujet qu'une chèvre partie à la recherche de son chevreau tombé dans le Trou des Ouled Zeïane, ressortit, bien des jours après, par le puits des Aït Attala. Si non è vero... Cette dernière faille a son orifice dans un terrain gypseux, d'une blancheur éclatante, sur le point culminant d'un petit mamelon conique ; il représenterait très exactement la bouche d'un cratère, si le petit mamelon était volcan. Rien ne peut, au premier examen, faire soupçonner la profondeur de ce puits : l'ouverture n'en a pas plus de soixante centimètres en tous sens et le couloir qui y donne accès descend en pentes douces, pendant environ dix mètres. A partir de là, l'explorateur, qui a voyagé à plat ventre, les pieds en avant, peut se redresser petit à petit et ne tarde pas à pouvoir marcher debout. Encore trente mètres, et il se trouve sur une grève de sable blanc et fin, au bord d'un lac aux eaux cristallines, à reflets métalliques. Rien ne saurait égaler le charme étrange qu'on éprouve à l'aspect de cette masse d'eau d'un calme de mort. On aimerait à y rêver dans la tristesse, en oubliant la terre, si les chauves-souris ne tardaient pas à vous mettre en fuite. Semblables à des génies dont la charge consisterait à poursuivre les profanateurs de leurs silences sombres, elles vous heurtent de leurs ailes molles et poussiéreuses, se cramponnent à vos vêtements, à votre visage, éteignent les lumières et vous souillent de leurs déjections. On ne tarde pas à quitter, sans grand regret, ce lieu qui vous avait semblé d'abord si paisible et si beau. L'ouverture du Trou des Ouled Zeïane est assez large, cinq mètres de surface environ : il est impossible d'y descendre sans cordages, car, pendant une vingtaine de mètres, on peut voir la roche de calcaire noir s'enfoncer à pic dans le sein de la terre ; à cette profondeur, le puits fait un coude et nul n'a jamais osé pénétrer plus loin, sauf, il est vrai, la chèvre dont j'ai parlé. L'air devient lourd et froid, rempli de senteurs d'abîmes qui glacent le cœur des plus vaillants. C'est auprès de ce trou, bouche de l'Achéron, auraient dit les anciens, que s'est passé, bien longtemps avant la conquête française, un drame de famille, comme on en cite malheureusement trop en Kabylie. Près de l'abîme s'élève un vieil olivier sauvage dont le tronc se bifurque en deux branches, semblables à des bras décharnés de squelette, dressant vers le ciel leur ossature couverte des loques informes qu'y suspendent les kabyles. (à suivre...)