Résumé de la 10e partie n Kassi est toujours sur le front attendant le moment propice pour assouvir sa vengeance... Le lieutenant était d'une vieille race de nobles campagnards, riches de leurs terres et de leur nom intact, mais sans argent. Il s'était épris d'une jeune fille de la bourgeoisie, dont le père avait fait une grosse fortune dans des entreprises où son honnêteté avait quelque peu sombré. Le jeune homme savait que jamais ses parents ne consentiraient à une pareille alliance, qu'on eût pu soupçonner d'intéressée ; lui-même avait honte de son amour partagé du reste, et, comme Kassi le manchot, il avait lui aussi, sans but dans la vie, résolu de mourir. Il s'était donc engagé dans le premier bataillon que l'on forma dans son pays, bien qu'il fût exempt par son âge du service militaire. Les recrues, séduites par sa prestance et sa force, l'avaient désigné pour être un de leurs chefs. Bravement il les avait conduits au feu, mais si loin, que peu en étaient revenus. Dans une charge à la baïonnette, il entraîna sa compagnie si avant par son exemple, qu'elle fut tout entière massacrée ou faite prisonnière. Relevé parmi les morts, soigné par les Prussiens admirant son héroïsme, guéri de ses blessures qui n'étaient dangereuses que par leur nombre et la perte de sang qu'elles avaient entraînée, il avait profité de la première occasion pour s'évader. De retour à l'armée, on l'avait désigné pour remplacer un lieutenant tué au feu dans le bataillon de mobiles de notre vieux tirailleur. Sa mélancolie en augmenta, car il se sentait encore plus triste depuis qu'il avait perdu tous ses compatriotes et se trouvait sans amis et sans confidents. Les longs silences du jeune homme, sa figure toujours grave, le sourire douloureux figé sur ses lèvres, intriguèrent le vieux Kassi qui sentait en lui un malheureux ; il se prit de pitié pour ce géant qui souffrait et dont les collègues raillaient les longues rêveries et la vie chaste au milieu des orgies des camps. Il s'attacha à lui, faisant de préférence ses sorties en sa compagnie, le soignant le soir à l'étape, lui trouvant les bons endroits pour le repos de la nuit ou pour l'embuscade. Le lieutenant sentit cette sympathie autour de lui et en fut reconnaissant, se demandant comment il récompenserait ce dévouement qui s'était offert et qui n'attendait rien en retour. Bientôt Kassi fut en quelque sorte son ordonnance sans cesser d'être son ami ; ils ne se quittèrent plus ; dans tous les coups de main, au milieu de tous les périls, là où le plomb tombait plus dru, on distinguait la silhouette gigantesque du mobile, sa longue barbe rousse au vent, et, tout près, celle du petit tirailleur manchot. Se sentant une douleur semblable, dans le même isolement, réunis par la même bravoure, le même désir de la mort libératrice, ils en arrivèrent vite à des confidences, et ce jour-là, ils devinrent inséparables, car ils osèrent pleurer ensemble en parlant de ceux qu'ils aimaient. Toutefois Kassi, craignant de se voir taxer de folie, ne parla point de l'entreprise qu'il avait faite de venger son fils sur un général. (à suivre...)