Résumé de la 16e partie n Kassi se décide à faire l'aveu à son ami sur son désir de venger son fils en tuant un général prusse... Ce fut la fin. Les Prussiens, furieux de la prolongation de l'agonie de notre pauvre armée, mirent en ligne une forte batterie et criblèrent les nôtres d'une grêle d'obus et de balles. Le lieutenant tomba ; sa compagnie n'étant plus soutenue par son exemple et ses paroles se débanda et les restes de l'arrière-garde ne tardèrent pas à se présenter aux postes de l'armée suisse, qui les attendaient à la frontière. Kassi n'avait point perdu de vue son ami. Dès qu'il le vit disparaître au milieu de la fumée et de la terre que soulevait la chute des projectiles, il se précipita vers lui. La jambe gauche du lieutenant pendait inerte. Un éclat de fonte lui avait arraché le mollet et tranché tous les tendons ; il perdait un flot de sang. Son visage pâle gardait son expression souriante et douloureuse. Il dit au sergent de fuir, qu'il attendrait là les ambulanciers aussi bien seul qu'en sa compagnie. Kassi refusa ; il examinait la blessure : «Cela n'est rien mon fils, dit-il ; trois mois d'hôpital et tu seras guéri !» Et sous la pluie de fer qui continuait, avec le calme d'un médecin dans une ambulance, il tira des linges de son sac inépuisable, fit une ligature et pansa le membre pantelant. L'opération fut rapidement terminée, car le vieux avait de l'expérience. Il finissait, lorsqu'il s'aperçut que les tirailleurs ennemis n'étaient plus qu'à une petite portée de fusil et commençaient à viser tout ce qui n'était pas mort sur le champ de carnage. Il souleva le lieutenant, se couchant sous lui, et parvint, malgré le poids du géant, à le charger sur ses épaules. Il se mit alors à courir le plus vite qu'il pouvait, du côté du ruisseau torrentueux qu'il avait remarqué sur la droite et qui bordait, à une centaine de mètres, un fourré épais où il pensait se cacher, lui et son précieux fardeau. Les Prussiens lui envoyaient toutes leurs balles, mais elles l'épargnèrent, et passant de pierre en pierre sur la glace, il arriva dans le petit bois, où il s'abattit épuisé. Le lieutenant s'était évanoui, car sa jambe, qui traînait à terre durant la course, avait heurté tous les obstacles et lui avait causé des douleurs intolérables. Kassi le tira au beau milieu d'une clairière, l'installa sur le dos, lui rougit le front avec son sang, pour faire croire à une blessure mortelle, se badigeonna de même et se coucha à plat ventre sur le corps du mobile pour le tenir au chaud, car le froid était des plus vifs. Les flanqueurs prussiens ne tardèrent pas à envahir la place ; ils parcoururent le bois en tous sens, ne s'inquiétant guère de ces deux cadavres, dont l'un montrait sa face plaquée de rouge. Ils se retirèrent bientôt, après avoir donné quelques coups de crosse à Kassi, qui ne bougea point. Le camp ennemi se dressa en face du petit bois, à deux cents pas à peine du lieu où gisaient nos amis. Lorsque les bruits de pas eurent complètement cessé, Kassi traîna son lieutenant au plus épais de la broussaille, sur la lisière du bois et se mit à regarder les maudits qui, tranquillement, préparaient leur déjeuner, allumant du feu avec les bois arrachés aux haies voisines et à une ferme que les obus avaient démolie. (à suivre...)