Résumé de la 12e partie n Kassi découvre avec stupeur son ami le lieutenant en train de manger la ration de pain d'un militaire tué lors de l'affrontement... Kassi avait toutes les délicatesses : il se tut, s'éloigna de son pas silencieux et revint au campement par un détour. Il y retrouva le lieutenant presque heureux, pouvant enfin, ayant calmé sa boulimie, rêver à son amour sans espoir. De ce jour, Kassi se fit son pourvoyeur. Dès que le service de la journée ou l'ennemi laissait un répit aux deux amis, ils allaient à l'écart recommencer sans cesse leurs éternelles confidences. Le vieux tirailleur qui, d'habitude, ne mangeait que juste le nécessaire pour ne pas mourir de faim, éprouva tout d'un coup le besoin de mieux vivre, de manger, de faire goûter au Français tous les plats de son répertoire. Il recommença donc, pour son nouveau fils, les ratas invraisemblables qu'il composait jadis à son Ali, encourageant le lieutenant, qui refusait timidement, puis acceptait, poussé par ses besoins de gros mangeur. Ces repas en commun devinrent une habitude et le Français, en pleine possession de sa force physique, redevint le héros infatigable que toute l'armée de l'Est connaissait et admirait. Ce diable de Kassi avait trouvé un grand sac de lignard sur un champ de bataille. Il le portait haut sur les épaules, toujours plein et lourd, couronné par une vaste gamelle de campement et quelquefois par une volaille vivante, recelant dans ses flancs un véritable garde-manger. Il y avait de tout dans le sac magique : pommes de terres chipées dans les caves, navets déterrés dans les champs, choux demi-gelés, conserves... Et quelle joie pour lui, lorsque, à l'étape, il pouvait allumer son feu malgré l'humidité, faire chanter la casserole, puis sur le tard, après le repas des officiers, aller trouver son ami et lui dire, avec son singulier accent sabir : — Tu viens casser la croûte, dis, ma lieutenant ? Et le Français, qui avait compris, ne se faisait plus prier, ému de cette sollicitude du vieux, se considérant comme son parent, son fils, puisqu'il le traitait comme tel. Il se promettait bien de lui payer au centuple ses soins et ses bienfaits et, chaque jour, leur amitié se resserrait. C'était tout ce que demandait Kassi, pensant que, s'il venait à manquer, son nouveau fils vengerait l'ancien. Il se promettait de lui faire jurer si la mort venait. Tous deux se reprenaient même à aimer leur vie nouvelle soutenue par leur affection mutuelle, et si dans les yeux du tirailleur passait quelquefois un éclair sombre, ceux du mobile étaient moins noyés de tristesse. Une circonstance vint encore resserrer les liens qui les unissaient. Leur compagnie était de garde, et à quelques centaines de mètres, sur un plateau broussailleux, ils pouvaient apercevoir, se courbant pour se défiler, les sentinelles prussiennes dont la silhouette se détachait en noir sur le ciel terne. (à suivre...)