Résumé de la 17e partie n Kassi, au péril de sa vie, sauve le lieutenant d'une mort certaine. Les voilà maintenant proches d'un camp allemand faisant les morts pour leur échapper... Le mobile ne tarda pas à demander à boire et son ami lui prodigua les soins les plus touchants, l'encourageant à supporter son mal, lui faisant espérer une prompte guérison, lorsqu'à la nuit ils pourraient gagner la frontière et se trouver en pays ami. Le blessé paraissait reprendre des forces, la fièvre le gagnait et donnait à ses yeux gris une expression sinistre. Kassi le calmait, le dorlotant comme une mère, lui promettant vengeance, oubliant lui-même la sienne et la mort de son cher Ali, pour ne songer qu'à ce deuxième fils que Dieu lui avait donné. Soudain, le visage ridé du vieux tirailleur prit une expression de joie délirante ; il se remuait, allait du lieutenant à la lisière, tendant le cou à travers la brousse, poussant de sourdes exclamations. Le jeune homme, malgré la fièvre, se rendait compte de la situation critique dans laquelle ils se trouvaient : il fit remarquer que ces mouvements allaient attirer l'attention des sentinelles. Mais Kassi, sans lui répondre, le souleva, l'appuya contre un baliveau de hêtre, et ayant fait une petite percée dans les branches entrelacées, étendit le bras et dit, en parlant entre les dents serrées — Regarde ! il est là ! — Qui ? fit le mobile. — Lui, dit Kassi, le «jenninar», celui qui doit payer la rekba pour mon fils. Le lieutenant regarda avec plus d'attention. De l'autre côté du ruisseau, en effet, escorté d'officiers, passait à cheval un général prussien, parfaitement reconnaissable à ses insignes, en raison du peu de distance qui le séparait des Français. Il marchait au petit pas, questionnant ses hommes, les félicitant. Tous se levaient, raides, à son approche. — Tu vas le laisser tranquille, je pense, ton général, si tu ne veux pas nous faire écharper. — Mon fils, dit le tirailleur, lorsque ton frère Ali a été assassiné par ces chiens, j'ai juré que j'aurais rekba, sang pour sang, tête pour tête. Ma karouba a pensé que, seule, la mort d'un général pouvait compenser la perte d'Ali. Il faut donc qu'un général meure et celui-là va payer la dette. Le lieutenant haussa les épaules ; il ne tenait pas assez à la vie pour résister longtemps au désir de son ami. — Va donc, tue-le, dit-il, et que cela finisse. Autant mourir fusillé qu'à l'hôpital. Kassi revint dans la clairière, où gisait son chassepot ; il l'essuya soigneusement, le chargea d'une cartouche bien sèche et, l'appuyant sur les branches, visa longtemps. L'émotion, le froid le faisaient trembler. Il voulait bien mourir, mais non sans avoir tenu son serment. Après quelques instants, il baissa son arme, grinçant des dents, la figure contractée, horrible de haine inassouvie. — Je ne puis pas ! je ne puis pas ! gronda-t-il; ma main tremble, j'ai peur de manquer ! Ah ! s'il pouvait venir de ce côté ! avec mon couteau, ce serait plus sûr ! (à suivre...)