InfoSoir : La société algérienne est-elle passive ? l H. Berkane : Oui depuis un certain temps. Les gens sont devenus plus pragmatiques et plus individualistes. Tout ce qui compte, c'est l'intérêt personnel et immédiat. Les affaires de la cité, de la communauté, c'est leur dernier souci. Mais même si l'Algérien agit ainsi, il est conscient de cette irresponsabilité et de cette passivité. Cependant, il ne peut rien faire pour changer les choses. Tout le monde agit de la même manière. Il doit suivre le rythme, sinon on risque de nuire à ses intérêts, voire à sa position dans la société. Agir dans l'intérêt de la communauté est aujourd'hui un comportement rare. L'Algérien est prêt à garder le silence et la discrétion par peur. Je vous cite un exemple : si un employé dans une boîte constate un cas de détournement, de dépassement ou autre, il est contraint de ne pas dénoncer car il a tout d'abord peur et pour sa sécurité et pour son poste. Il n'a pas d'autre alternative. Donc cette passivité et ce négativisme sont avant tout une contrainte avant d'être un vice ou une habitude. Y a-t-il un rapport avec les sequelles de la période de terrorisme ? l Oui évidemment. Les Algériens ont traversé une épreuve difficile. Cette décennie d'horreur a changé même leurs «instincts» et leur manière de raisonner. Beaucoup de phénomènes atroces sont banalisés et vulgarisés. Les Algériens sont devenus incapables de réagir aux mauvaises situations en cas d'urgence. Certains sont devenus même insensibles… Je doit dire aussi que la perte totale de confiance dans les pouvoirs publics et les politiciens a fait que l'Algérien ne croit à rien. Pour lui, tout n'est que mensonge et illusion. Cette situation a même déteint sur son entourage. L'Algérien ne croit pas son voisin, sa femme, ses enfants… Il doute de tout et est devenu négatif et passif dans ses actes, ses réponses, ses relations … Peut-on espérer regarder, un jour, le côté positif de la vie ? l Oui ! Il ne faut pas oublier que la conjoncture socioéconomique est socioculturelle est favorable à la passivité (elle constitue un terrain fertile au pessimisme). Le chômage, l'analphabétisme, la crise du logement, l'agressivité des médias étrangers, etc, constituent tout un ensemble de facteurs qui poussent les gens à ne plus s'intéresser qu'à ce qui les touche de près. Ils veulent survivre d'abord. Mais le retour de la gaieté et du dynamisme est conditionné d'abord par un développement culturel et économique. *Sociologue au centre de préparation sportive militaire de Ben Aknoun