Mémoire n Il était plus qu'un interprète, il était poète ; et comme tout poète, il était désabusé. Une soirée artistique dédiée à Kamel Messaoudi, disparu il y a dix ans, a eu lieu, jeudi passé, en présence de sa famille, de ses proches et de ses amis artistes, à l'auditorium du complexe culturel Laâdi-Flici – théâtre de verdure. Cet hommage, qui a été organisé à l'initiative de l'établissement Arts et Culture, consistait, dans un premier temps, en une exposition regroupant des coupures de presse et des photographies sur la vie et l'itinéraire musical de l'artiste, suivi, dans un deuxième temps, d'un récital poétique : le montage poétique a été assuré par Kamel Cherchar – auteur des paroles de 14 chansons de feu Kamel Messaoudi – et Kadour Afrah, deux poètes. Plus tard, dans la soirée, un récital de musique a été donné par nombre d'artistes qui ont côtoyé et chanté avec Kamel Messaoudi. Des noms de la chanson chaâbie comme Youcef Benyghzer, Noureddine Garidi, Hakim Tidaf, Hassen Ahras, Mourad Djidour et Kamel Banouh se sont, tour à tour, succédé sur le plateau de l'auditorium. Chacun a chanté les tubes de Kamel Messaoudi, comme Echamaâ, Lhnina ou encore Keltoum et Habbit l'youm n'fakrak. C'était une soirée forte en émotions et chargée de résurgences musicales. La soirée musicale, qui a été assurée par l'orchestre placé sous la direction de Mohamed Mechtar, – celui-ci a connu Kamel Messaoudi – a entamé le récital. Il est à relever qu'au moment où l'orchestre jouait en prélude un air musical connu de l'artiste, le public, nombreux, pouvait suivre du regard le portrait de Kamel Messaoudi, dominant la scène. L'assistance pouvait également regarder sur écran de part et d'autre de la salle, des images du défunt en compagnie d'artistes, comme Matoub Lounès, Hacène Ahrès… Il y a en effet dix ans, la voix du chaâbi moderne nous a quittés, le 10 décembre de l'année 1998, dans un tragique accident, avant même de souffler sa 38e bougie. Il se trouve toutefois que la voix de Kamel Messaoudi continue à résonner encore et pour toujours dans notre mémoire. Car à lui seul il incarnait une jeunesse, il la portait dans ses chansons. La jeunesse algérienne, d'une grande émotivité, en mal de vivre, d'amour et d'affection, se reconnaissait dans cette voix qu'est celle de Kamel Messaoudi qui a su, dans ses textes, la représenter et la peindre, notamment dans la célèbre et populaire chanson Echamaâ qui, dès sa sortie, en 1991, a instantanément fait chavirer les cœurs de la jeunesse algérienne, jeunesse particulièrement sentimentale et encline à l'émotion ; chacun d'ailleurs s'identifiait intimement à elle, parce qu'il s'y retrouvait. l Si Kamel Messaoudi, auquel amateurs et professionnels, admirateurs et admiratrices, ou encore critiques, reconnaissent jusqu'à aujourd'hui, le talent et l'inspiration, avait su captiver, bercer toute une jeunesse, et la rallier autour d'une chanson, Echamaâ, puis autour d'un répertoire, c'est parce qu'il avait apporté, proposé, longtemps après le défunt El Hachemi Guerouabi, une nouvelle façon d'interpréter le chaâbi, une manière individuelle et inédite ; c'était du chaâbi moderne. Comme El-Anka, en son temps, ou Dahmane El-Harrachi, à son époque, ou encore Guerouabi avaient chacun rénové le chaâbi, Kamel Messaoudi, lui, l'avait rajeuni et adapté, comme ses prédécesseurs, à ses contemporains, c'est-à-dire à sa génération. Kamel Messaoudi faisait partie de cette jeune génération, la sienne, caractérisée par un grand sentimentalisme, une génération désappointée, désillusionnée, et qui, perdue dans un présent étriqué par rapport à ses aspirations, trouvait en les chansons de Kamel Messaoudi un refuge, un exutoire à son malaise et à sa mélancolie. Kamel Messaoudi était plus qu'un interprète, il était poète ; et comme tout poète, il était désabusé à l'image, à l'époque, de toute sa génération. Ce désenchantement, il l'exprimait avec autant de sincérité que de tristesse. Mélancolique, il l'était, mais c'était une mélancolie profonde, vraie et créatrice. Cette sensibilité créatrice était perceptible dans sa voix assez caractéristique, dans ses textes, sa musique et aussi dans sa façon de chanter.