Résumé de la 3e partie n Un accident survient et Gérard Rousseau se retrouve sous la voiture entrain d'étouffer, sa femme, ne pouvant rien faire seule, va chercher des secours... Avec une agilité extraordinaire malgré la boue, Agnès Rousseau se retrouve en haut du talus et elle se met à courir comme une folle. Ses chaussures à talons hauts la font tomber, elle les envoie promener et continue. Et puis elle s'arrête. «Comme une folle» était l'expression juste. Elle avait pris la direction de chez leurs amis, mais leur maison est à cinq bons kilomètres et, même en courant à perdre haleine, elle arrivera trop tard. Gérard sera mort avant. Attendre une voiture ? Bien sûr, s'il en passait une, ce serait le salut. Mais sur cette route déserte et par ce temps de cauchemar, il peut fort bien ne pas en passer avant le lendemain matin. Alors ? Alors, il arrive quelque chose d'extraordinaire, de prodigieux. Agnès, qui n'a jamais suivi que son instinct, se met à agir, une fois encore, de manière instinctive. Et ce que lui dit, ce que lui crie son instinct, c'est qu'elle doit sauver Gérard. Il ne faut pas qu'il meure ! Sans s'en rendre compte, elle a couru sur la route en sens inverse et plongé, les pieds en avant, dans le fossé. Sans s'en rendre compte, elle s'est placée contre la voiture. Et son instinct lui a fait faire le geste nécessaire : elle s'est accroupie, le dos à la carrosserie. Or c'est dans cette position et cette position seule qu'on peut soulever un objet lourd. Elle serre les dents et elle tire de toutes ses forces sur ses bras, tout en essayant de déplier ses jambes. Si Agnès Rousseau n'était pas la jeune écervelée qu'elle est, la femme-enfant qui fait ce que lui dicte son cœur, elle n'aurait jamais entrepris cette tentative absurde. Pour soulever dans ces conditions un objet du poids de la 403, il faudrait deux hommes vigoureux, et elle mesure en tout et pour tout un mètre soixante pour cinquante-cinq kilos. Agnès n'a pas la force de gémir tant la crispation est violente, absolue. Une seule pensée traverse sa tête : il faut sauver Gérard, il le faut, il le faut ! Et le miracle se produit: la voiture a bougé. Elle se soulève de quelques centimètres seulement, mais elle ne repose plus sur la poitrine de Gérard. Il respire de nouveau. Agnès l'entend émettre un sifflement, puis un râle. A présent, s'il est capable de bouger, il peut se dégager lui-même. Il y a quelques secondes interminables d'attente et... rien ne se produit. Soit qu'il ait perdu conscience, soit qu'il ait quelque chose de cassé. Gérard Rousseau n'a pas bougé. Agnès sent ses forces l'abandonner. Elle va laisser retomber la voiture et tout sera perdu. Elle a fait tout cela pour rien ! Alors elle recommence, elle s'arc-boute de nouveau, et l'incroyable lutte reprend. La lutte de près d'une tonne d'acier contre cinquante-cinq kilos de fragilité, cinquante-cinq kilos d'amour, cinquante-cinq kilos de refus, cinquante-cinq kilos de désespoir. Et la 403 s'élève, lentement, centimètre après centimètre. Agnès se relève. Elle arrive presque à déplier les genoux. C'est l'instant crucial. Elle donne une brusque impulsion avec toutes les forces qui lui restent et fait passer la charge de ses mains à son dos. Elle ressent une douleur fulgurante, mais elle y parvient. A présent, le dernier effort : se relever, se mettre debout sous le poids, comme les haltérophiles. Elle pousse un cri. La voiture, propulsée sur son côté gauche, se met en position d'équilibre sur le côté opposé. Son mari est sauvé. Alors Agnès Rousseau s'évanouit. Une grande lueur blanche et la vision d'un homme, en blanc lui aussi. — Où suis-je ? — A l'hôpital, madame Rousseau. Tous les souvenirs reviennent en même temps dans l'esprit de la jeune femme. — Et mon mari ? — Il va bien, rassurez-vous. Il n'a eu que des côtes cassées. Il est sauvé grâce à vous. Curieusement, le médecin n'a pas l'air heureux en annonçant cette nouvelle. Agnès a déjà compris : elle ne sent plus ses jambes. — Et moi ? — Il va vous falloir beaucoup de courage, madame. Mais je sais que vous en avez. Oui, Agnès Rousseau, qui avait eu deux vertèbres lombaires brisées, est restée paralysée à vie des deux jambes. Mais jamais, par la suite, elle n'a perdu son sourire. Et ceux-là qui la jugeaient parfois si mal quand elle se comportait avec trop de liberté ont compris ce qui se cachait dans cette jolie tête blonde et ce joli corps de cinquante-cinq kilos : des sentiments si simples qu'ils étaient plus forts que tout, absolument que tout.