Chant Dans l?anomie patente qui mine sans aménité notre société, il est des repères inébranlables qui nous rappellent nos égarements et nous exhortent, avec leur voix, à un sursaut d?orgueil. Le chanteur Aït Menguellet fait partie de ceux-là. A sa manière, de son verbe ciselé, il bat en brèche nos sourdes et franches lâchetés. Son dernier album est une moisson de six chansons où l?amertume le dispute au désespoir. En effet, jamais Lounis Aït Menguellet n?a exprimé autant de dépit, de révolte, n?a été aussi cru et direct dans son propos. Dans Inasen, le chanteur rassure ceux qui commençaient à désespérer de lui. Il remet ? et de quelle manière ! ? les pendules à l?heure. A ceux qui se sont empressés de l?accuser d?avoir tourné sa veste, il chante que lui, le poète fou, peut se tromper, mais ne se laisse pas pour autant entraîner par les marchands d?illusion. Le ton y est franchement sarcastique. Ce passeur de la nuit, qui ne cesse d?illuminer les sentiers détournés de notre existence, demeure égal à lui-même. Avec toujours la même force poétique, il dresse le cadastre de nos travers. Dans cet opus, Lounis Aït Menguellet semble, toutefois, désespérer de ses semblables tant il y va très fort. Inasen prend les allures d?une moisson de colères qu?aura cumulées le chanteur toutes ces dernières années. Loin des feux de la rampe, certains s?appliqueront, avec un obsédant acharnement, à le faire sortir de sa coutumière réserve. Ils réussiront, car Inasen est l?expression d?un ras-le-bol. Lui qui nous avait habitués à la transcendance sentimentale et à de la hauteur dans ses prises de position, avec cette cassette, il descend dans l?arène pour livrer un combat qui s?apparente à l?ultime solution pour se faire comprendre. L?espace d?une chanson, Inasen en l?occurrence, il redessine les contours plissés de notre pays. Usant d?images et d?allégories dans lesquelles il est passé maître, Aït Menguellet «déconstruit» la parodie politique à laquelle voulait nous faire accroire le président Bouteflika. Dans cette chanson, sa dérision est décapante. Le sommet. Dans cet opus, Lounis semble avoir définitivement désespéré des siens tant ceux-ci «oublient». Nejayawen amkan est une véritable battue poétique. Même si le ton y est à la limite colérique, il ne souffre aucune méchanceté. La mesure est totale. Brûlé à la forge du désespoir et profondément déçu par ceux qui cherchent toujours à faire de lui un simple bouffon, il lâche : «Diriyi.» Dans cette chanson ? par ailleurs bien travaillée sur le plan de l?orchestration ? le chanteur donne la pleine mesure à son verbe corrosif et révolté. Il s?élève contre ceux qui veulent faire de lui ? et par ricochet tout le peuple ? un simple pantin ; il leur tourne le dos et assène : «Nejaywan amkan / Awid ur nemâin / A widak yerzan tibburaa yellin / A wid irekdhan / Sekra bwayen imghin / Taftilt di chaâlen / Atsid sexssim - On vous cède les lieux, vous qui êtes insignifiants, qui défoncez les portes ouvertes, écrasez ceux qui se rebellent (?).» Aït Menguellet, qui nous a habitués à la transcendance, descend ici dans l?arène pour livrer un combat qui a tout l?air de lui avoir empoisonné l?existence. A ses semblables qui troublent bruyamment ses silences, qui cherchent à l?enrôler, l?utiliser, l?exiler et même peut-être le pousser à la mort, le chanteur, sans haine, mais avec passion et colère, oppose un refus sentencieux : «Ma ugigh ad jagh axxam iw / Mur nejlagh si tmurt iw / Ma jgugleh deg akal iw / Diriyi - Puisque j?ai refusé de quitter ma maison, de m?exiler, puisque je m?accroche à ma terre, je suis mauvais (?).» Diriyi est très bien travaillée sur le plan musical. Il y a lieu de relever là la touche magistrale de Takfarinas, qui a réussi à peaufiner la musique et lui donner une note de fraîcheur toute professionnelle. Dans cette chanson, le chanteur règle ses comptes aux faux-semblants de tout acabit, aux marchands de mort et «ceux avec lesquels les lendemains sont sans espoir». Quittant un moment le maelström de l?actualité, Lounis nous invite à le rejoindre dans le monde de l?enfance. Changement de ton et de temps. Encore une fois, à travers Ruh a temzi, il convoque l?insouciance et le rêve fou. A cet âge, ces vertus prennent le pas sur la perfidie des adultes. Assurément, l?enfance est un refuge sûr pour les âmes meurtries. Pour Aït Menguellet, elle est un lieu de mémoire nostalgique qui s?éloigne, s?éloigne? Cette dernière ? en date s?entend ? production de ce chanteur au parcours bien singulier, cautérise nos douleurs et invite les démons qui nous habitent à sortir. Inasen a une force de sacerdoce et montre surtout que le poète demeure inusable, entier, même dans ses chansons les plus virulentes. Voilà qui nous rassure désormais. Inasen de Lounis Aït Menguellet, chez Akbou Music