Epoque n Les nouvelles générations l'ignorent sans doute, mais il fut un temps où le téléphone était un véritable luxe dans notre pays. Si la plupart des villes ont été dotées de ce moyen de communication à partir des années 1970, les régions rurales ont, quant à elles, dû attendre le début de la décennie en cours pour sortir de leur isolement à la faveur de l'introduction du téléphone sans fil, communément appelé le WLL, et du mobile. Comme la ruralité était la règle à l'époque, de nombreux Algériens étaient, de fait, privés de téléphone. Pour communiquer avec leurs proches, ils devaient parcourir des dizaines de kilomètres. Les seules cabines téléphoniques qui existaient étaient installées au niveau des centres-villes. Dans certaines régions du pays, les autorités avaient pensé à doter chaque douar ou village d'un téléphone. «C'était la politique à l'époque», note Makhlouf, 36 ans, natif d'un village montagneux de la wilaya de Tizi Ouzou. Très souvent, c'est l'épicier du village qui est choisi pour accueillir le fameux appareil noir pour des considérations pratiques. Mais il y avait aussi d'autres privilégiés qui se comptaient principalement parmi les employés des ex-PTT (Poste, télégraphe et téléphone) et…leurs proches ! Généralement, ces téléphones servaient beaucoup plus à recevoir les appels qu'à en émettre. Et pour cause : le téléphone était plus ou moins cher et la facturation pas du tout facile à établir. Makhlouf s'en souvient : «Dans les années 1980, l'épicier de notre village fixait le montant à payer sur la base du temps d'appel qu'il calculait à l'aide d'un…vieux réveil. De fait, on payait l'appel à l'étranger au prix de l'appel local. C'était une promotion exceptionnelle qui n'a pas duré longtemps au grand dam des habitants du village qui avaient des proches en France, puisque l'épicier a fini par décider de composer lui-même le numéro pour connaître la destination de l'appel et fixer le montant à payer en conséquence. Il a également interdit l'utilisation du téléphone en son absence après avoir découvert que sa femme qui le remplaçait, se trompait à chaque fois qu'elle établissait le prix de l'appel. Alors qu'il espérait faire fortune grâce au téléphone, il s'est presque ruiné.» Cela dit, cet épicier était très respecté au village, selon Makhlouf : «C'était quelqu'un de très important comme on dit, on n'avait pas intérêt à se disputer avec lui au risque de subir des représailles. Il connaissait les moindres secrets des villageois étant donné qu'il était toujours là, à chaque appel émis ou reçu. Il assistait même aux conversations entre les émigrés de France et leurs femmes restées au village.» Toujours est-il que ce ne sont pas toutes les localités qui étaient dotées d'un téléphone «collectif». A l'est comme au sud du pays par exemple, des villages entiers étaient, jusqu'à la fin des années 1990, complètement «déconnectés». Leurs habitants restaient sans nouvelles de leurs proches installés ailleurs durant des semaines, des mois, voire des années. Ce qui est inimaginable aujourd'hui…