«L´ignorance crée la peur et la peur l´attentat». Victor Hugo Nous venions de sortir d´Abou Ghraïb et de Guantanamo avec le secret espoir que 2006 serait celle de la justice dans toutes les régions du monde, notamment au Moyen-Orient. Il n´en fut rien. Au Moyen-Orient ce fut l´éternel conflit entre la Palestine et Israël. L´enlèvement du soldat Shalitt a déclenché l´envahissement de Ghaza puis ce fut les quarante jours du martyr du Liban avec plus de 1300 morts, des milliers de blessés et des destructions évaluées à plusieurs milliards de dollars dans un Liban plus divisé que jamais du fait de l´ingérence manifeste des grands de ce monde. Et il y a l´Irak avec l´horrible épisode de la fin inhumaine de Saddam Hussein dans l´indifférence quasi-générale, l´année 2006 a bien marqué un tournant pour les Etats-Unis en Irak, mais pas dans le sens attendu par la Maison-Blanche. Trois ans et demi après le renversement de Saddam Hussein, la violence fait rage et l´administration Bush est politiquement affaiblie. Le président George W.Bush a reconnu, pour la première fois le 19 décembre, que les Etats-Unis n´étaient pas en train de gagner la guerre. «Nous ne gagnons pas, nous ne perdons pas», a-t-il déclaré au Washington Post, citant le chef d´état-major des armées, Peter Pace. Selon un rapport du département de la Défense, le nombre moyen d´attaques entre la mi-août et la mi-novembre a ainsi progressé de 22% par rapport aux trois mois précédents, passant d´environ 800 à près de 1000 par semaine. Les pires violences ont eu lieu à Baghdad et dans la province occidentale d´Anbar. L´année a vu un déchaînement de violences entre chiites et sunnites, perpétrées par des milices et escadrons de la mort. Quelque 100.000 Irakiens fuient le pays chaque mois. Près de 3000 soldats américains sont morts. Les Nations unies estiment, selon des statistiques portant, jusqu´à l´été dernier, qu´une centaine de personnes sont tuées chaque jour en Irak. Plus de 50.000 morts en Irak. Le conflit aurait coûté la vie à plus de 200.000 personnes depuis mars 2003. Rappelons-nous que le peuple irakien a connu le martyre depuis la guerre Irak-Iran, (près de 750.000 morts en dix ans). par la suite l´invasion du Koweït (19e province de l´Irak avant la partition faite par les Anglais à la fin de la Première Guerre mondiale) a surtout coûté la vie à des dizaines de milliers d´Irakiens. Comme autres temps forts de l´année 2006: l´Iran qui a fait parler de lui comme d´une superpuissance régionale, comme d´un acteur-clé au Proche-Orient. Le programme nucléaire iranien reste toujours le problème essentiel. Et pour cause. Le sort même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) y est joué. «Il ne fait plus de doute aujourd´hui, écrit Piotr Gontcharov, que si l´Iran met en oeuvre son programme nucléaire dans le format qu´il a déclaré, et plus précisément sur la base de ses propres technologies d´enrichissement de combustibles nucléaires, un coup mortel sera porté au régime de non-prolifération, et on pourra, par conséquent, sonner le glas du TNP. Le facteur iranien ne tardera pas à déclencher l´effet domino». L´exemple de l´Iran sera immédiatement suivi par l´Arabie Saoudite, l´Egypte et la Jordanie. De facto, elles l´ont d´ores et déjà déclaré.(1) La Conférence sur l´holocauste créée comme une diversion, un contre-feu par l´Iran, a été boycottée par l´ensemble des médias occidentaux qui dictent ce que le citoyen doit lire, voir et écouter. Si l´Iran a organisé cette Conférence, ce n´est pas pour rejeter ou prouver l´existence de l´holocauste, mais, plutôt, pour apporter des éclaircissements sur les vraies dimensions de cette affaire. L´Occident a fait de l´holocauste un tabou et dans 10 pays européens, toute recherche ou étude sur ce sujet est considérée comme un délit. Toute interprétation non officielle de l´holocauste est rejetée, car si l´holocauste était remis en cause, la légitimité de l´entité sioniste serait, aussi, remise en cause. La Conférence est une manière de mesurer les convictions des Occidentaux vis-à-vis de la liberté d´expression, et les réactions de ces deux derniers jours de l´Occident, à ce sujet, montrent bien que la liberté d´expression et les Droits de l´homme doivent s´inscrire dans le cadre de la culture et des règles de l´Ordre hégémonique occidental, sans porter atteinte aux visées politiques des puissances hégémoniques.(2) «Pour l´Union juive française pour la paix,» Le génocide est devenu un argument politique pour justifier la politique israélienne. D´où les réactions de ceux qui croient contrer l´argumentation sioniste en niant un génocide qui aurait été inventé par ce mouvement pour mieux justifier son agression contre les Palestiniens. Ces deux discours, le sioniste et le négationniste, se confortent l´un l´autre. Dans cette affaire, seules les victimes ne comptent pas, que ce soient les Juifs exterminés par les nazis ou les Palestiniens massacrés par l´Etat d´Israël. Face à cette double mauvaise foi, nous devons expliquer d´abord, que les atrocités nazies, et en particulier le massacre systématique des Juifs, ne donnent aucun droit, à ceux qui se réclament d´un obsessionnel devoir de mémoire, de perpétrer des crimes contre les Palestiniens, que l´injustice de 1948 ne saurait être le prix à faire payer aux habitants de la Palestine pour un crime commis en Europe par des Européens. ensuite, qu´on ne soutient pas la dure lutte des Palestiniens en niant un crime sous prétexte que c´est au nom de ce crime que le sionisme justifie ses crimes d´aujourd´hui. Ainsi, la pétition d´Elie Wiesel, Alain Finkielkraut et quelques autres qui appellent à des sanctions contre l´Iran.(3) Une révolution silencieuse est en train de se dérouler en Amérique du Sud. Graduellement, un virage à gauche que l´on ne peut plus imputer au communisme est en train de se réaliser, fruit d´une mondialisation sans éthique et d´un grand voisin tenté par l´empire. Le résultat du mécontentement de cette politique qu´ont menée et que mènent dans cette région les Etats-Unis et la plupart des sociétés transnationales qui n´ont jamais pris en compte et qui continuent de ne pas prendre en compte les intérêts locaux. Chacun des pays classés aujourd´hui dans le bloc de gauche - Bolivie, Brésil, Equateur, Nicaragua et Venezuela - est marqué par un rougissement d´intensité différente, mais dont l´origine est identique. Seulement si les facteurs locaux ont partout joué un rôle certain, ce sont les facteurs extérieurs qui ont quand même été déterminants. Au Pérou et au Mexique, la gauche a été battue sur le fil, par contre, en 2006, l´épilogue électoral a été presque aussi pourpre que le sang bolchevik de la plus belle eau: au Venezuela elle a vaincu par K.O. et réélu Hugo Chavez pour un nouveau mandat. Autre pays qui a su s´imposer, la Russie: par une politique du bâton et de la carotte énergétique, elle a su faire oublier le conflit tchétchène, de plus elle est admise dans le G8 au début de l´été à Saint-Pétersbourg. En outre, la signature, à la fin de l´automne à Hanoï, d´un accord commercial entre la Russie et les Etats-Unis a levé le dernier obstacle sérieux empêchant Moscou d´entrer à l´Organisation mondiale du commerce.(4). Pour clôturer, enfin, cette année de l´intolérance, on ne peut pas passer sous silence l´oeuvre désastreuse de l´ONU. Dix ans après son élection en décembre 1996, Kofi Annan s´en va, les traits tirés et les cheveux blanchis par les crises et les manquements de la communauté internationale, mais il se proclame heureux d´avoir eu le privilège et la chance de servir. Du prix Nobel de la Paix, décerné en décembre 2001 à l´ONU et à son secrétaire général, au scandale du programme Pétrole contre nourriture, Kofi Annan a connu les honneurs autant que les attaques. En 1999, il est l´homme du mea culpa de l´ONU sur le massacre de Srebrenica (1995) et le génocide du Rwanda (1994). Dans le rapport réalisé par une commission indépendante, il met en cause en tant que chef du département des opérations de maintien de la paix pour ne pas avoir suffisamment informé le secrétaire général de l´ONU d´alors et le Conseil de sécurité des avertissements formulés par le commandant des Casques bleus, et facilité ainsi l´indifférence du Conseil et des Etats membres.(5) En cinq ans, après des échecs dévastateurs en Somalie, en Haïti, en Bosnie et au Rwanda, le secrétaire général reçoit le prix Nobel de la Paix en décembre 2001. Les ennuis commencent en mars 2003, avec l´invasion américaine de l´Irak. Prise en l´absence d´une résolution du Conseil de sécurité. Son plus grand regret, disait-il récemment, dans une interview à la BBC. De son propre aveu, 2004 sera son annus horribilis. Le scandale Pétrole contre nourriture dévoile de graves dysfonctionnements dans l´Organisation. Son fils Kojo est mis en cause. Enfin, du point de vue économique, on nous dit que le ciel est bleu sur l´économie mondiale. Ambiance Belle Epoque que ce début de siècle, où tout devrait aller mal et où tout -ou presque- va bien. Croissance mondiale forte: l´économie mondiale s´intè-gre à un rythme sans précédent en englobant une proportion inédite des populations: «Le PIB mondial a doublé depuis 1980, 450 millions de personnes sont sorties de la pauvreté.» Le rattrapage des pays en développement d´Asie devrait se faire encore plus rapide mais cela n´empêcherait pas le revenu par tête des enfants qui naissent ici, au Nord, de doubler par rapport à celui d´aujourd´hui. Belle Epoque... Pour 2007, donc, les prévisionnistes sont confiants: la correction américaine sous contrôle devrait se poursuivre, Chine et Inde devraient ronfler à nouveau, l´Europe devrait ralentir un peu mais rester à son potentiel de vieille dame, à 2% environ.(6) Pourtant tout annonce l´orage, et pourtant elle tourne...La belle Epoque? nous dit-on Celle qui s´est finie en 1914? Jaurès écrivait à propos du capitalisme naissant: «le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l´orage.» Le monde ne se résume pas à l´oligarchie de la finance et à ses valets Le communiqué de la Banque mondiale montre que ce qui a diminué est le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour tandis qu´il faut s´attendre à ce que l´Afrique continue à sombrer, que les inégalités entre personnes continuent à s´aggraver comme celles entre pays, plus autres risques majeurs.. Quand on déclare que «450 millions de personnes dans le monde sont sorties de la pauvreté» (en 26 ans), ne devrait-on pas avoir la décence de dire aussi, combien de personnes y sont tombées? La Belle Epoque s´est construite sur une exploitation éhontée du Tiers-Monde. La faim dans le monde est toujours là alors que les nations détruisent les excédents de récoltes pour ne pas faire baisser les cours à la bourse. La pauvreté, en France, s´appesantit de plus en plus sur les gens, même chez ceux qui travaillent. Les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches «Depuis le 11 Septembre,[..] écrit Marwan Bishara, Washington a redéfini les menaces et les ennemis asymétriques en ne distinguant plus que ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous», en fonction de l´humeur et des intérêts des décideurs, sans grand rapport avec les menaces nouvelles réelles. Transformer des mouvements de résistance anticoloniaux classiques et des régimes laïcs en cibles de la «guerre mondiale contre le terrorisme», au même titre qu´Al-Qaîda et d´autres réseaux criminels, a représenté plus qu´une erreur: une catastrophe. Au cours des dix années qui ont précédé, quelque quatre millions de personnes, principalement des civils, ont péri dans des guerres non conventionnelles, financées par des trafics de diamants, de drogues ou d´armes. Voilà qui a passablement tempéré l´optimisme né de la fin de la guerre froide. Auparavant, la plupart des conflits s´inscrivaient dans la rivalité entre les deux superpuissances. Dorénavant, les planificateurs du Pentagone associent les nouvelles guerres à la mondialisation et analysent la menace qu´elles représentent pour la sécurité de l´Occident.(7) Depuis que la guerre a commencé, en dehors de Kaboul, rien ou presque n´a avancé, et la population souffre de la guerre et des privations. Le chaos a perduré, le trafic de drogue a repris (il représente plus de 90% de l´approvisionnement mondial d´opium), et les chefs tribaux, seigneurs de la guerre et islamistes règnent sur le reste du pays. Cinq années après leur chute, les chefs talibans harcèlent les troupes de l´Organisation du traité de l´Atlantique nord (Otan) et leur infligent des pertes de plus en plus importantes -au point qu´en septembre celles-ci ont dû demander des renforts.(8) Pour le reste il nous faut dérouler un catalogue à la Prévert, l´Afghanistan, la Somalie, l´Ethiopie chrétienne, aidé par les Etats-Unis est rentrée en Somalie et a chassé les tribunaux islamiques. Il faut citer aussi le Darfour, le conflit sans fin, le pape et sa provocation, le voyage en Turquie qui n´a rien arrangé malgré la prière du panzer cardinal dans la mosquée d´Istanbul. L´Afrique continue à se déchirer et la Chine continue à faire des affaires avec une croissance à deux chiffres. Le Vietnam est sur ses pas il est d´ailleurs entré à l´OMC. Le cri d´alarme d´Al Gore est là pour nous rappeler que la Terre est aussi agressée, elle est malade de son environnement. 1.Piotr Gontcharov: l´Iran est devenu une superpuissance régionale RIA Novosti Alterinfo 29 décembre 2006 2.Zeynel Cekici: Alterinfonet.com Mardi 12 Décembre 2006. 3.Bureau national de l´union juive française pour la Paix (UJFP): Quand négationnisme et sionisme se confortent mutuellement. 17 décembre 2006 4.Pourquoi les Latino-américains virent-ils au rouge? Alterinfo actualité. 29 décem-bre 2006 5.François D´Alançon: Kofi Annan, la sérénité malgré les épreuves 27/12/2006 6.Eric Le Boucher: 2007: comme un air de Belle Epoque. Le Monde 23 décembre 2006 7.Marwan Bishara: Des guerres asymétriques au chaos constructif. Le Monde diplomatique Octobre 2006 8.Journal Time, New York, 18 septembre 2006