Des frises romaines aux wilayas de l'indépendance, l'Algérie a connu plusieurs découpages obéissant à des impératifs qui n'ont pas toujours favorisé le développement. Gérer une étendue territoriale donnée n'est guère une sinécure. Outre la difficulté à trouver un équilibre qui permette de tirer un maximum des possibilités qu'offre le territoire, il y a aussi des considérations, pas toujours objectives, induites par la géologie et la géographie physique du territoire, mais aussi, souvent, par des impondérables politiques, sociaux, voire tribaux, qui entrent en ligne de compte et constituent parfois des obstacles plus insurmontables encore que ne le sont les difficultés naturelles de terrain. Aujourd'hui, le pouvoir découvre qu'il ne suffit pas de prendre le pays et de le diviser comme on le ferait d'une galette. De fait, le découpage territorial est une science permettant les stratégies de contrôle d'un pays et, subséquemment, l'un des moyens de la mainmise du pouvoir sur les populations. L'Algérie, depuis les temps numides, a connu une multitude de découpages de son territoire. Des frises romaines aux wilayas de l'indépendance, le pays a été à plusieurs reprises divisé selon des impératifs militaires, sécuritaires et économiques de l'occupant hier, de préoccupations pas toujours claires des pouvoirs d'aujourd'hui. Toutefois, c'est la période ottomane qui semble avoir fixé pour la durée le découpage régional et national de l'Algérie. Ainsi, sous les Turcs le pays à été doté de trois beylicks dont les chefs-lieux étaient Constantine pour l'Est, Médéa au Centre et Mascara pour l'Ouest (le siège de cette région sera déplacé à Oran après la libération de cette ville de l'occupation espagnole). Alger, capitale du pays, abritait le siège de la Régence. Cette structure administrative ottomane sera maintenue par la France coloniale, les beylicks se transformant en 1844 en provinces françaises d'Afrique du Nord, dans les limites qui étaient les leurs durant la période ottomane. Le beylicat du Titteri (Médéa) et la Régence d'Alger sont fusionnés en province française d'Alger. C'est en 1875, quarante-cinq ans après l'occupation que les provinces deviennent départements français d'Afrique du Nord (Algérie), et en 1902 les territoires du Sud mutés en circonscriptions administratives du Sud algérien avec un statut (militaire) particulier. Six découpages en 30 ans Il faut attendre 1955 pour voir la fondation d'un quatrième département, ayant pour chef-lieu Bône (Annaba), suivie l'année d'après par la création de celui des Aurès (Batna), ces deux nouvelles circonscriptions administratives ont été prises sur le département de Constantine et obéissaient essentiellement à des impératifs militaires et politiques d'un meilleur contrôle de la population induit par la guerre de Libération nationale. Un nouveau découpage, en juin 1958, qui entre dans le cadre du plan de développement de l'Algérie, dit Plan de Constantine, portera le nombre des départements à treize auxquels viendront s'ajouter en 1961 les deux territoires du Sud élevés au rang de départements des Oasis (Ouargla) et de la Saoura (Béchar). Deux découpages nationaux suivront en 1974 et en 1984 avec une nouvelle organisation territoriale du pays portant le nombre des wilayas (départements) respectivement à 31 puis à 48. Dès lors, entre le début de la guerre de Libération le 1er novembre 1954 et janvier 1984, -c'est-à-dire en trente ans- l'Algérie dont la configuration administrative n'a pratiquement pas bougé durant près d'un siècle va connaître six découpages successifs, dont quatre commis par le pouvoir colonial français entre 1955 et 1961. Si, sans surprise, la France a opéré des découpages dans le but évident de contrôler la population musulmane dans le but de la couper des moudjahidine et priver le FLN-ALN du soutien et de l'aide des Algériens, il était, à tout le moins, attendu des gouvernants algériens d'avoir une vision plus pragmatique et une véritable stratégie de l'organisation territoriale qui devaient, en priorité, contribuer à l'élimination des disparités et favoriser le développement et l'émancipation de la population et du pays. Il n'en a pas été ainsi, puisque les deux découpages territoriaux (trois en fait si on y inclut les nouvelles daïras créées en 1991) réalisés depuis l'indépendance ont obéi à d'autres paramètres et considérations et ne semblent pas avoir pris en compte l'aspect spécifique du développement (régions agricoles, Hauts-Plateaux, piémont saharien...) d'une part, de la protection et de la sécurisation du territoire national, d'autre part. L'Algérie, un très vaste pays de 2.381.741 km², limitrophe de sept pays avec des frontières de plusieurs milliers de kilomètres, nécessitait la mise en oeuvre de conditions propices à un développement harmonieux et équilibré. De fait, il est étonnant que les gouvernants, dans un souci de défense de nos frontières et de protection de l'intégrité territoriale, n'aient pas commencé par promouvoir des villes frontalières (telles Maghnia, In Guezzam, Djanet, Touggourt, Bir El Ater, notamment), au rang de wilaya dans le but diplomatique et tactique de souligner l'intérêt de l'Etat pour des régions convoitées par des voisins insatiables. Rien de tel n'a été fait, il fallut attendre 1974 avec la promotion de Tébessa, et le deuxième découpage national de 1984 pour voir Tindouf, Aïn Sefra, (cette dernière remplacée au dernier moment par Naâma -un hameau à l'époque-), Aïn Témouchent et Souk Ahras, villes frontalières érigées en wilayas, alors que le Maroc revendiquait les régions de Tindouf et de Aïn Sefra dès l'indépendance, déclenchant même la guerre, dite des sables, en octobre 1963, quelques mois seulement après la libération de l'Algérie, dans le but avoué de s'emparer par la force de la région de Tindouf. Il en est de même de la Libye qui elle aussi, revendique la région de Djanet et n'a toujours pas signé avec Alger de protocole d'accord sur le tracé de nos frontières communes. De fait, les frontières avec ces deux pays ne sont toujours pas ratifiées. Or, une représentation de l'Etat et du gouvernement dans ces régions -stratégiques et renfermant des richesses minières- par la nomination d'un wali était politiquement et diplomatiquement souhaitée. Cela n'a pas été le cas, plus, en 2006 ces régions frontalières (citées plus haut) ne sont toujours pas pourvues du statut de wilaya. C'est dire donc l'importance qui est attachée au découpage territorial qui ne saurait être un passe-droit pour satisfaire la libido de caciques en mal de leadership, comme cela a été visiblement le cas dans les découpages surréalistes et incohérents de 1974 et 1984, alors que le découpage réalisé en 1991, sous le gouvernement Hamrouche, est toujours sous le coude, au ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, au moment où les daïras accompagnant ces nouvelles (?) wilayas sont, elles, opérationnelles depuis cette date. Et pour cause, la promotion de petites villes ou villages, (voir le cas de Naâma, moins de 2 000 habitants quand elle a été élevée au statut de wilaya, lorsque Bou Saâda, un exemple parmi d'autres, ville de plus de 100.000 habitants attend toujours d'y accéder) au statut de chef-lieu de wilaya était devenu un argument électoral et un nouveau principe du clientélisme politique. De fait, le découpage territorial dans l'Algérie indépendante n'a jamais obéi à une économie de gestion et de cohérence géographique, d'efficacité administrative et de développement social et économique, mais a été le plus souvent induit par les rapports de force à l'intérieur des clans qui dominent le pouvoir politique dans le pays. Ainsi, plusieurs villages dont le seul mérite est celui d'avoir donné naissance à tel ou tel homme fort du moment se sont vu érigés en wilaya contraignant l'Etat à dépenser des sommes astronomiques pour rendre ces villages viables et opérationnels en tant que chef- lieu de wilaya. Des fiefs ont été ainsi constitués où la stratégie de développement à long terme était absente pour ne point dire ignorée. De fait, les élections passées, tout le monde rejoint ses ‘'pénates'' de la capitale et oublie ces lointaines contrées jusqu'au prochain scrutin. Cette manière absurde de penser le pays apparaît nettement après l'avènement du terrorisme en 1992 quand l'Etat, et ses servants, se sont retranchés dans le bunker du Club des pins abandonnant par là même ses prérogatives de sécurisation de la population et du pays aux hordes barbares. L'Algérie à ainsi vu fleurir -sous les coups de boutoir des troupes sanguinaires des GIA et autre AIS- des territoires libérés . De fait, il fut un temps où la Casbah, en plein coeur d'Alger, tombée sous le joug des terroristes, était interdite aux représentants de l'autorité. Dès lors, enjeu politique, le découpage territorial revient cycliquement à la une des journaux qui, à la veille de chaque grand rendez-vous électoral, avisent comme imminent une prochaine annonce d'un découpage administratif et la création de nouvelles wilayas. Plusieurs villes, candidates de longue date à une telle promotion, attendent toujours la concrétisation de ce qui est devenu pour leurs populations un rêve et un abcès de fixation, à telle enseigne qu'à chaque tournée présidentielle ou d'un ministre ‘'important'' on a coutume d'entendre parmi les slogans celui devenu rituel de «‘'x'' ville, wilaya». Pour dire combien ces affaires de découpage sont devenues avec le temps un enjeu autant politique et électoral que populaire. En 1991, le découpage qui a été réalisé, pour rester dans la norme d'un découpage tous les dix ans, n'a jamais été rendu public, et l'avènement du terrorisme islamique n'en est pas la seule cause, d'autant plus que les daïras accompagnant ces nouvelles wilayas sont, elles, opérationnelles depuis cette époque. Cette inconséquence est illustrée par le nombre astronomique de daïras (près de 500 pour 48 wilayas) dont le nombre dans certaines wilaya -Sétif, Batna, Béjaïa, Tizi-Ouzou, Médéa et Tlemcen- dépasse largement les 20 circonscriptions administratives pour chacune d'entre-elles. Cette pléthore de daïras n'est pas en revanche compensée par un souci d'équilibre géographique et démographique, lorsque l'on observe que les découpages ne répondent à aucun critère précis et ne semblent prendre en compte ni la démographie ni les besoins des populations ni les capacités des entités administratives à gérer les territoires placés sous leur responsabilité. Les incohérences sont de fait légion dans les découpages de 1974 et de 1984 qui font que la taille des wilayas et des daïras n'est pas fonction de la densité ou de l'éparpillement de la population mais obéit à des critères que nous seront curieux de connaître. Ainsi, nous avons des chefs-lieux de commune de moins de 100 habitants qui chapeautent des localités de plus de 5000 habitants, quand des villages de 10.000 habitants ou plus, n'ont pas le statut de commune (voir les statiques de l'ONS sur les derniers recensements de 66, 78 et 87 notamment). Par ailleurs, toujours dans cet ordre d'idées, il existe des daïras gigantesques (Constantine qui a une population de plus de 600.000 habitants ne dispose paradoxalement que d'une seule circonscription administrative -daïra-) Oran, la première commune d'Algérie, par sa population, - ne pas confondre ville et commune- est en revanche partagée en trois daïras, alors que la capitale comprend douze circonscriptions administratives. Mais à l'instar de ces circonscriptions, il faut compter aussi celles de Annaba, Sétif, Batna -les trois villes dépassant chacune les 300.000 habitants - A côté de ces grandes circonscriptions existent de minuscules daïras de moins de 10.000 habitants, et il ne s'agit nullement de villes ou villages du Sud mais bien de localités du nord du pays. Il en résulte que des centaines de villages, hameaux ou douars du pays profond, qui n'ont pas le statut de communes, ne disposent pas du minimum des services qu'ils sont en droit d'attendre de l'Etat - la disponibilité d'une annexe communale, d'un poste de police ou de gendarmerie, des postes et télécommunications, des services des eaux, du gaz et de l'électricité singulièrement -. L'administration proche des administrés? Il faut avoir sillonné cette Algérie rurale pour se rendre compte du dénuement de ces populations oubliées par ceux-là mêmes censés lutter contre les disparités et le déséquilibre régional en usant au mieux des possibilités de ces régions et des potentialités de l'Etat. Et le découpage reste l'un des principes d'équilibre et de développement régional, fort mal mis à contribution par l'administration ayant en charge d'apporter le bien-être aux populations rurales. De fait, sauf dans les démocraties modernes, le découpage territorial demeure encore un enjeu stratégique (politique, militaire, économique), souvent clanique, dont les gouvernants usent et abusent, alors qu'il aurait dû être un moyen périodique de rectifier les erreurs apparues afin de remédier aux déséquilibres et manques que le temps et l'expérience auront contribué à dévoiler. Reste maintenant à savoir si les autorités politiques du pays, dans la perspective de la mise en oeuvre du projet de réformes de la commission Missoum Sbih vont revoir le découpage du pays en prenant en compte les expériences de 74 et de 84 pour arriver à une meilleure prise en charge des besoins des citoyens. Gouverner c'est prévoir. C'est cela la bonne gouvernance. Aussi, il est aberrant de constater qu'en 2006 l'Algérie, avec 32 millions d'habitants, ne dispose que de 1541communes (selon l'ONS, il y avait lors des derniers recensements près de 13.000 localités en Algérie). De fait, l'augmentation du nombre des communes et des wilayas est une nécessité économique et sociale qui, outre de réduire le chômage des nombreux diplômés, rapprochera effectivement l'administration de l'administré, principe qui se réduit jusqu'ici à un slogan vide de sens. Dès lors, il est sans doute temps pour les autorités du pays de prendre le taureau par les cornes afin d'affronter les problèmes qui se posent à la société d'une manière générale, panser les plaies sociales dont souffrent les populations d'une manière générale, celle de l'Algérie rurale, en particulier, cette dernière souvent absente des préoccupations des gestionnaires et qui, plus que jamais, a besoin de la sollicitude des gouvernants et de la diligence de l'administration.