Le 27 mai 1942. Aux commandes de son bimoteur, Nelson Griffith distingue, dans les premières lueurs du jour, la banlieue de Prague. Il est 4 heures du matin et sa mission touche à sa fin. Ce n'est pas la première fois que ce lieutenant de l'armée anglaise effectue des vols au-dessus de la Tchécoslovaquie occupée. Jusqu'à présent, il s'agissait de livrer du matériel pour la Résistance. Là, c'est un peu différent : ce sont deux parachutistes qu'il va larguer. Il se retourne et leur lance — Ça va être à vous, boys ! Préparez-vous. Sans dire un mot, les deux hommes s'équipent de leur parachute. Ils se saisissent en outre chacun d'un sac contenant un véritable arsenal : pistolets automatiques, mitraillettes, grenades, bombes explosives et fumigènes. Tous deux sont revêtus de l'uniforme anglais, mais ils font partie de l'Armée libre tchécoslovaque. L'un est Tchèque, Jan Kubis, fermier en Moravie, et l'autre est Slovaque, Josef Gabchik, serrurier à Bratislava. Ils sont jeunes tous les deux, ils n'ont pas vingt-cinq ans. Ils ont déjà connu une existence mouvementée, à l'image des temps dramatiques que l'Europe est en train de vivre. Patriotes, ils n'ont pas accepté l'invasion de leur pays par Hitler, à la suite des accords de Munich. Ils se sont exilés en France et, lorsque la guerre a été déclarée, ils se sont engagés dans la Légion étrangère. Comme les autres, ils ont fui devant l'armée allemande, en mai 1940. Comme beaucoup d'autres, ils se sont retrouvés encerclés à Dunkerque et ils ont eu la chance de faire partie de ceux qui ont pu passer en Angleterre. Là, au sein de l'Armée libre tchécoslovaque, créée sur l'initiative de Churchill, Jan Kubis et Josef Gabchik ont subi un entraînement intensif et ce sont leurs qualités physiques et morales qui les ont fait désigner pour cette mission. Nelson Griffith se retourne une nouvelle fois vers eux : — C'est là, les gars. Bonne chance pour votre job ! Un autre Anglais ouvre la porte de l'avion. Les deux Tchécoslovaques sautent et le pilote peut voir peu après leurs parachutes s'ouvrir dans ce petit matin du mois de mai. Leur job, comme il dit, il ne le connaît pas : c'est le règlement, indispensable au cas où il serait capturé. Bien sûr, la Convention de Genève interdit d'interroger les prisonniers, mais on ne sait jamais. Nelson Griffith fait demi-tour et met le cap sur l'Angleterre. Pour lui, ce vol aura fait partie de la routine de la guerre. Mais ce qui attend Jan Kubis et Josef Gabchik est loin d'être ordinaire ! Il leur est demandé d'accomplir un des plus grands exploits jamais réalisés par la Résistance d'un pays occupé. Il s'agit d'abattre Heydrich, le numéro trois du régime nazi, le chef de la Gestapo, le maître et le bourreau de la Tchécoslovaquie, que tout le monde dans le pays surnomme l'«homme au cœur de fer». Reinhardt Heydrich est né en 1904 à Leipzig, dans une famille de la haute bourgeoisie. Il fait de brillantes études et pourrait s'orienter vers une carrière de professeur ou de médecin, mais il choisit l'armée. Il fait partie de cette génération, trop jeune pour faire la guerre de 14-18, qui n'a pas accepté la défaite ni le traité de Versailles et qui rêve de revanche. Ses dons lui permettent d'entamer une brillante carrière. Il manifeste très tôt une vocation d'officier politique et, sur sa demande, il est affecté au service de renseignements. Il y fait preuve d'une grande activité et connaît un rapide avancement. (à suivre...)