Il était une fois un pauvre homme qui, pour faire vivre ses sept grandes filles et ses petits garçons, allait dans la forêt faire du charbon, qu'il vendait dans la ville. Les six filles aînées avaient honte de leur père, parce qu'il était pauvre et qu'à travailler dans le charbon tout le jour il était toujours tout noir et pauvrement vêtu. Pour marquer qu'elles étaient quant à elles au-dessus de cette misérable condition, elles passaient les jours à se farder, à se parer et à ne rien faire. Tous les travaux de la maison, elles les laissaient à leur plus jeune sœur qui, elle, s'en occupait avec beaucoup de plaisir et de zèle. Le soir, quand leur père rentrait fatigué, elle lui enlevait ses sandales, lui lavait tout de suite ses vêtements pleins de poussière noire, afin qu'il pût les remettre propres le lendemain. Mais surtout elle était renommée dans tout le pays pour son intelligence. Elle était capable de comprendre les paroles les plus enveloppées et de résoudre les énigmes les plus difficiles. D'un autre côté, le roi du pays était connu pour être lui-même un grand amateur d'énigmes et, comme il était en même temps très autoritaire et fantasque, il en proposait quelquefois à ses sujets, qui devaient les résoudre dans un délai fixé sous peine d'y perdre la vie. Il venait justement d'en imaginer une. Aussi réunit-il des habitants de la ville, parmi lesquels était le charbonnier. — J'ai, leur dit-il, un arbre dont les douze branches portent chacune trente rameaux. Chaque rameau produit cinq feuilles. Vous avez huit jours pour me dire ce que c'est. Si, au bout de ces huit jours, vous n'avez pas trouvé, vous aurez la tête tranchée. Les sujets du roi s'en allèrent abattus. Ils eurent beau se consulter à plusieurs reprises entre eux et prendre l'avis d'hommes qu'ils savaient perspicaces, ils ne purent trouver le mot de l'énigme. Le jour approchait où il fallait se présenter de nouveau devant le roi, et le charbonnier, ayant en vain cherché jusqu'à la veille, réunit ses filles pour leur faire ses recommandations. Il leur conta l'épreuve à laquelle le roi une fois de plus les soumettait : — C'est demain que nous devons nous rendre au palais et, comme nul de nous n'a trouvé, il nous fera certainement mettre à mort. C'est vous désormais qui devrez subvenir à votre subsistance. — Mais, dit la plus jeune de ses filles, il n'est rien de plus facile à résoudre que l'énigme du roi. Le charbonnier eut peine à la croire, mais elle la lui expliqua et, comme il n'avait pas d'autre solution, il résolut de la proposer telle exactement qu'il venait de l'entendre. Le lendemain, quand les hommes de la ville comparurent devant le roi, il les fit défiler l'un après l'autre. A chaque réponse qu'on lui donnait, il ricanait et disait au malheureux de se mettre de côté. De minute en minute, le groupe des condamnés grossissait. A la fin il ne resta plus que le charbonnier. — Et toi, l'homme au charbon, qu'est-ce que tu as trouvé ? demanda le roi en riant. (Car il était convaincu que le charbonnier ne pouvait réussir là où tous les autres avaient échoué.) — Sire, dit le charbonnier, le mot de l'énigme, Dieu seul et vous-même le savez. Néanmoins je pense quant à moi que votre arbre représente l'année, les branches les douze mois, les rameaux les jours et les feuilles les cinq prières de la journée. Le roi se récria : — Charbonnier, tu as sauvé ta tête et celle de tous tes compagnons, car tu as touché juste. Un murmure de soulagement parcourut le groupe des hommes qui se voyaient déjà condamnés. — Mais, continua le roi, tu ne vas pas me dire que tu as trouvé seul le mot de l'énigme. Quelqu'un t'a aidé à la résoudre ou même l'a résolue pour toi. (à suivre...)