Vécu Une figure flétrie par la vie. Une beauté abîmée par le poids des ans et un corps maigrelet, éprouvé par les éternels automnes, la misère et les hommes ! Aïcha est vendeuse de charbon. Elle n?a que 30 ans. Pourtant, elle semble dépasser largement la quarantaine. Aïcha a été mariée à 15 ans à un cousin qu?elle n?a jamais aimé. Aujourd?hui, elle est mère de huit enfants, tous malades mentaux ou invalides, à cause de ce mariage consanguin. Sur son visage basané, l?on peut lire toute la tendresse et la force d?une mère, d?une femme naïve et aimante. «Je me lève tôt le matin, je sillonne la forêt du village et je ramasse les branches d?arbre. J?allume ensuite un grand feu, je les brûle pour en faire du charbon qui sera vendu par mes enfants au centre-ville, à raison de 100 DA le sachet. Je ne vis que de ça, si je ne travaille pas, personne ne m?apportera à manger. Personne !», marmonne la jeune mère. Elle arrange son foulard bariolé qui retient des cheveux frisés teints au henné, resserre le ruban de sa large robe qui ceint sa taille. «Depuis la mort de mon père, j?ai été oubliée par mes frères. Ils ne s?inquiètent jamais pour moi ni pour mes enfants. C?est la vie ! C?est ma destinée, je l?accepte, je n?ai pas d?autre choix ! Ma profonde croyance en Dieu me sauve et me réconforte. C?est tout ce que je possède.» Sa maison, un gourbi en pierre et en motte de boue construit par son mari, est nichée au flanc des collines d?El-Djazia, l?une des communes d?Oum El-Bouaghi, et classée comme la région la plus pauvre en Algérie. Comme ses mômes, elle n?a jamais tenu un cahier ou un livre entre les mains. Elle ne connaît pas la télévision, elle ne sait pas où se trouve Ghardaïa, Alger, Tizi Ouzou?., car elle n?a jamais quitté sa maison et son patelin. La vie ne l?effraie pas, même si elle l?a énormément blessée, car à 30 ans, elle a déjà tout vu. Le sol cimenté est dur et troué, de l?eau sale jaillit des petits fossés. Des chats affamés rôdent autour. Accroupie, Aïcha prépare les galettes de pain pour sa marmaille d?enfants. C?est le repas du jour, une tranche de galette. Ses gosses semblent affamés, leur regard hagard ne quitte pas les mains âpres et ridées de leur mère. «C?est la misère, je suis fatiguée de tout faire. Mon mari ne travaille pas, c?est un chômeur. Depuis que je me suis mariée, je travaille dans le charbon et je le ferai jusqu?à la fin de mes jours, cela me fait vivre !»