Résumé de la 56e partie n Tuppence, alias Mrs Blenkensop, fait courir l'information que son fils Douglas lui a écrit une lettre qui a échappé à la censure... Elle (Tuppence) avait fait connaître son intention de passer la journée à Londres. Pour voir son notaire, avait-elle affirmé, et pour y faire quelques courses. C'est pourquoi tous les pensionnaires vinrent lui souhaiter bon voyage, non sans la charger de diverses commissions, «si vous avez le temps, bien entendu»... Seul le major Bletchley s'était tenu à l'écart du groupe. Il lisait son journal, et émettait à haute voix les commentaires de circonstance : — Ces Allemands sont des porcs... Mitrailler des réfugiés civils sur les routes... Bande de brutes... Si j'étais au haut commandement... Quand Tuppence partit, le major ne laissait ignorer à personne les mesures qu'il prendrait, lui, s'il était responsable des opérations. Elle fit un détour par le jardin pour demander à Betty Sprot si elle aimerait qu'elle lui rapporte un cadeau de Londres. Betty, qui tenait avec enthousiasme un escargot dans ses petites mains, gazouilla sa joie. En réponse aux propositions de Tuppence, «Un chat en peluche ? Un livre d'images ? Des craies de couleur pour dessiner ?», elle indiqua nettement sa préférence : «Betty dissin.» Et ainsi des craies de couleur vinrent s'ajouter à la liste d'achats de Tuppence. Elle avait décidé de rejoindre la route en passant par le fond du jardin. C'est là qu'elle rencontra inopinément Karl von Deinim. Poings serrés, il s'appuyait au mur d'enceinte. En entendant arriver Tuppence, il se tourna vers elle. L'émotion crispait ses traits en général impassibles. Presque malgré elle, Tuppence s'arrêta près de lui. — Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle gentiment. — Ach, oui, tout ne va pas, siffla-t-il âprement. Je crois vous avez ici, n'est-ce pas, un proverbe sur pas chair et pas poisson ? De la tête, Tuppence acquiesça. — C'est ce que je suis, reprit Karl, très amer : pas chair et pas poisson. Et ça ne peut pas continuer, je dis. Ça ne peut pas continuer. Je crois il vaudrait mieux tout finir. — Que voulez-vous dire ? — Vous avez parlé à moi gentiment. Vous pouvez comprendre, je crois. J'ai enfui mon propre pays à cause de l'injustice et de la cruauté. Je suis venu ici pour trouver la liberté. Je haïssais l'Allemagne nazie. Mais, malheureusement, je suis toujours Allemand. Et ça, rien peut le changer. — Je sais que vous pouvez rencontrer des difficultés, murmura Tuppence, mais... — Ce n'est pas ça. Je suis Allemand, je l'ai dit à vous. Dans mon cœur, dans mon esprit, l'Allemagne est encore mon pays. Quand je lis sur les journaux que des villes allemandes bombardées sont, que des soldats alle-mands meurent, que des avions allemands abattus sont... C'est mon peuple qui meurt. Quand le vieux major belliqueux lit son journal, quand il dit «ces porcs»... ça rend moi furieux. Le supporter je peux pas. Et c'est pour ça je pense ce sera mieux peut-être tout finir. Oui, tout finir. (à suivre...)