Face à une pomme de terre qui joue au yoyo et qui grimpe parfois dans les mercuriales jusqu'à atteindre des sommets inaccessibles, face à un marché déréglé que personne apparemment n'a pu maîtriser, les Algériens, du moins ce qui reste de la classe moyenne, n'ont d'autre choix aujourd'hui que de vivre en fonction des strictes nécessités. En d'autres termes, ils sont appelés à changer, carrément, d'habitudes alimentaires. A l'ouest du pays et particulièrement à Oran où la sardine, par exemple, a atteint 350 DA le kilo, les ménages ne font plus de chichis pour les repas. Les steaks frites, les rôtis de veau et les «tadjines h'lou» font désormais partie du passé. La plupart des familles se sont mises à la chorba qui engage très peu de frais et qui évite, en outre, d'acheter de la pomme de terre. D'autres se sont mis à la hrira, qui nécessite très peu d'ingrédients, et qui a l'avantage de nourrir plusieurs bouches. Des pères de famille ont avoué, sans aucun complexe, se nourrir actuellement de couscous au sucre, sans sauce et évidemment sans viande. A l'Est, à Tébessa, par exemple, des familles se nourrissent de «terfas» (truffes) qui, apparemment, semblent remplacer la viande et le poisson. Il y aurait même pression sur le produit. Quelques-uns se rabattent sur les cardes et même sur les épinards. Ce n'est pas encore la disette bien sûr, mais c'est tout comme. Mais ne chargeons pas uniquement les marchés et ses spéculateurs qui sont, certes, pour beaucoup dans cette nouvelle habitude de se nourrir. Il y a aussi et peut-être surtout, les salaires qui n'arrivent pas à décoller et s'ils le font, c'est au compte-gouttes. Comment un père de famille actif, dont le revenu moyen est de 15 000 DA dans le meilleur des cas, peut-il nourrir, vêtir et soigner décemment sa femme et ses enfants au prix où est la nourriture, le vêtement et le médicament ? C'est presque impossible et même hors de question. Entre un salaire qui n'avance pas et une cherté de la vie qui galope, il ne peut que parer au plus pressé : nourrir comme il peut ses enfants. Et cette bataille est quotidienne. Elle est sans répit.