L'homme qui a mis les Etats-Unis et la France à genoux a tiré sa révérence hier. A l'âge de 102 ans, le général Vo Nguyen Giap, héros militaire de l'indépendance vietnamienne et artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu, est décédé. Dernier dirigeant historique du Vietnam communiste encore en vie, Giap était une des figures les plus adorées de la population. Né le 25 août 1911 dans la province centrale de Quang Binh, Giap, fin connaisseur de Napoléon, n'était pas destiné à devenir un soldat. Mais les tactiques de cet autodidacte, formé à la stratégie militaire à coups de lectures, inspireront les combattants du monde entier pour des décennies. Venu étudier puis enseigner l'histoire à Hanoï, il s'enfuit à la fin des années 1930 en Chine. Il y rencontre l' «Oncle Ho», qui le charge de fonder l'armée révolutionnaire Viet Minh fin 1944. Entre-temps, sa haine de la puissance colonisatrice n'a cessé de croître, alimentée par le décès de sa première femme dans une prison française. En 1945, Giap devient ministre de l'Intérieur du premier gouvernement autoproclamé du Vietnam, avant de passer un an plus tard à la Défense, un poste qu'il conservera plus de 30 ans. En dépit d'une carrière politique brisée, Giap est considéré comme l'un des plus importants stratèges militaires de l'Histoire. Autodidacte formé à coups de lectures, il avait réussi grâce à ses tactiques à défaire tour à tour, les deux superpuissances de l'époque. La France et après les Etats-Unis ont été obligés de plier bagage. En 1954, il avait ainsi infligé dans la «cuvette» de Dien Bien Phu une cuisante défaite aux troupes colonisatrices françaises, événement fondateur de l'émergence d'un Vietnam indépendant et de la fin de la domination française en Indochine. Les vingt années qui ont suivi cette victoire éclatante, ce fils de paysan lettré avait continué de diriger ses troupes pendant la guerre du Vietnam contre les Américains et leurs alliés du Sud-Vietnam, jusqu'à la prise de Saigon le 30 avril 1975. «Ce jour-là, mon rêve est devenu réalité (...). C'était comme tourner une page sur un chapitre de l'histoire», avait-il confié à son autobiographe. Ecarté du pouvoir ces 30 dernières années, ses heures de gloire font malgré tout de cette icône populaire la figure la plus emblématique du Vietnam moderne, après le fondateur du Parti communiste vietnamien Ho Chi Minh. «C'est un personnage mythique et héroïque pour le Vietnam», résume ainsi Carl Thayer, chercheur basé en Australie. Malgré sa victoire à Dien Bien Phu, son influence s'affaiblit après la mort d'Ho Chi Minh en 1969 et lors de la réunification du Vietnam, Giap n'est déjà plus chef de l'armée du Nord-Vietnam communiste. Il est en conflit ouvert avec le numéro un du régime, Le Duan, qui cassera sa carrière politique, et son successeur à la tête des forces militaires, Van Tien Dung, lui vole en grande partie la vedette. En 1980, il est remplacé à la Défense, puis exclu du bureau politique du Parti communiste en 1982. Pour les grands anniversaires de Dien Bien Phu, en 1994 et 2004, Giap refera, cependant, des apparitions remarquées aux côtés des dirigeants. La célébration de ses 100 ans sera l'occasion pour une multitude d'hommages. Les plus hauts dirigeants vietnamiens lui rendront, alors, visite à l'hôpital militaire où il était soigné depuis trois ans. L'homme qui a déclaré que l'impérialisme est un mauvais élève quitte ce monde. Mais sa légende lui survivra. Celui qui a balayé d'une main de maître, deux grandes puissances, ne pourrait être effacé des mémoires. Toute l'humanité se souviendra, et pour longtemps, de ce mythe du 20e siècle. M. N.