L'évolution de la situation politique en Egypte semble tendre de plus en plus vers un retour à l'autoritarisme. A chaque changement un pan de libertés revendiquées par la société égyptienne est grignoté. C'est dans cet ordre que le projet de nouvelle Constitution a été adopté, avant de le soumettre à un référendum pour son approbation. Comme attendu le texte confère à l'armée des pouvoirs importants. Notamment une possibilité, très controversée, de juger des civils. Ce qui ouvre la voie à des risques de dérapages qui ne sont pas sans rappeler le régime en place avant la «révolution» de la place Tahrir qui a vu la chute de Moubarak et son clan. Le projet de Constitution a été adopté à la majorité des voix d'une commission constituante de 50 personnalités, nommées par le gouvernement. L'armée, qui a repris les reines du pouvoir après un intermède marqué par l'arrivée du candidat des Frères musulmans à la tête de l'Etat, n'est pas loin de ce passage de la nouvelle loi. Le texte en question devrait être soumis au chef de l'Etat par intérim, Adly Mansour, avant de le proposer au suffrage populaire dans un mois. L'Egypte semble être entrée dans une phase politique extrêmement sensible, notamment depuis le clash sanglant avec les Frères musulmans. Depuis juillet dernier lorsque les militaires égyptiens ont décidé de mettre fin à la présidence de Mohamed Morsi, premier Président civil élu démocratiquement. Le bras de fer avec ses partisans sortis dans la rue finira en bain de sang. Et les conséquences de ce coup de force ne tarderont pas à survenir. Inéluctable. L'armée suspend la Constitution et nomme un gouvernement intérimaire qui sera chargé d'élaborer une nouvelle loi fondamentale et d'organiser des élections législatives et présidentielle courant 2014. Mais force est de constater que depuis la destitution par l'armée de l'ex-président Morsi et l'emprisonnement des militants des Frères et la dissolution de leur parti, la situation ne s'est pas pour autant stabilisée. Depuis la mi-août, les nouvelles autorités répriment les partisans du Président déchu. Ces derniers de leur côté ne semblent pas refréner leur défiance envers le pouvoir, au péril de leur vie. Plus d'un millier de manifestants sont morts sous les balles des forces de l'ordre. Et la tension n'a jamais baissé dans une Egypte plus que jamais clivée. L'armée, aujourd'hui franchement à la tête du pays du Nil, semble vouloir baliser tout risque de retour vers un système qui menacerait la prééminence des militaires. Le projet de Constitution prévoit, que ni le Parlement ni le gouvernement n'auront de droit de regard sur le budget de l'armée. Une règle en vigueur depuis une quarantaine d'années mais que l'armée voudrait faire perpétuer. Le retour en grâce de l'armée Au même titre qu'un droit «d'arbitrage» dans certains cas. Des tribunaux militaires pourront juger des civils qui s'en prennent où qui critiquent la sacro sainte armée. Avec l'accord du Conseil suprême des forces armées la nomination du ministre de la Défense devra se faire pour une durée de huit ans. Ces dispositions inquiètent les Egyptiens et les organisations des droits de l'Homme qui y voient une véritable tentation «liberticide». Les droits engrangés depuis la chute de Moubarak risquent de fondre comme neige au soleil. Mais c'est l'article, autorisant les militaires à juger des civils «en cas d'attaque directe contre les forces armées» et leurs «équipements», qui inquiètent le plus. La fin des procès de civils devant des tribunaux militaires était parmi les revendications de la révolte de 2011, qui a accéléré la chute du président Hosni Moubarak et ses fils. L'actuel ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, commandant en chef de l'armée et vice-Premier ministre, est aujourd'hui le véritable homme fort de l'Egypte. L'éventualité de sa candidature pour la prochaine élection présidentielle reste la grande question en Egypte. En attendant la décision du Général, le fameux projet de Constitution fixe un calendrier pour les élections parlementaires et présidentielle. Il stipule que les procédures pour la «première élection doivent commencer au moins 30 jours après l'adoption de la Constitution et au plus tard 90 jours après». «Les procédures pour l'autre élection doivent commencer dans les six mois suivant le référendum», selon le texte. Ce dernier énonce néanmoins certains points positifs en matière de libertés individuelles. Pour la première fois par exemple le document fait référence aux conventions internationales en matière de droits de l'Homme. Mais pour les observateurs les plus neutres, le projet de Constitution de la nouvelle Egypte pèche par un manque de rigueur. Il ne met pas de garde-fous contre le risque de militarisation de l'Etat. La normalisation de l'Egypte semble bel et bien en marche. M. B.