Un des piliers du théâtre algérien, M'hamed Benguettaf, s'est éteint dans la soirée du dimanche à l'âge de 74 ans des suites d'une longue maladie, qu'il avait courageusement combattue. Cette triste nouvelle s'est répandue telle une trainée de poudre sur les réseaux sociaux, suivie de la publication de nombreux hommages, témoignant de sa grandeur d'artiste, de sa large contribution à l'essor du 4e art en Algérie mais aussi de son humanisme indéniable. Hier matin, ils étaient tous là, comédiens, metteurs en scène, techniciens, journalistes, hommes et femmes de culture de tous bords. Ils avaient tous afflué vers le Théâtre nationale algérien (TNA) pour un ultime hommage. Les yeux étaient rougis par les larmes sincères, celles qu'on verse pour la perte d'un être cher irremplaçable. Hélas, sa grande famille artistique a été privée de cet ultime adieu sur décision de sa famille. Celui qui a été un père pour tous est parti modestement sans escale dans sa grande maison dont il avait fait un véritable foyer pour la création artistique. M'hamed Benguettaf, un des piliers du TNA, méritait une dernière visite à son second foyer à qui il a consacré plus d'un demi-siècle d'abnégation et de dévouement. Au fil des années, il avait su réconcilier les différentes corporations pour que la lumière émerge au cœur du square Port Saïd, où l'art de la comédie avait supplanté les nombreuses tragédies qui avaient marqué ces lieux. Il avait su reconquérir un territoire qui était tombé aux mains de l'obscurantisme, grâce à son humanisme et sa passion indéfectible pour le théâtre et la culture. M'hamed Benguettaf ne cessait de répéter que «l'Algérie n'a pas besoin de tanks pour protéger ses frontières, mais qu'elle a besoin de culture pour les protéger, car seul la culture peut cimenter l'unité nationale». Au seuil du Théâtre, Fethennour Benbrahim, le directeur de la communication du TNA, digne dans sa douleur, mais ne pouvant contenir les larmes ruisselant sur son visage, confie d'une voix nouée par l'émotion : «On vient de perdre un grand Homme avec un grand H, au sens profond. C'est un artiste complet, comédien, auteur, dramaturge, metteur en scène. Il croyait en la jeunesse, à qui il a ouvert la porte du TNA car il avait foi en son potentiel et savait que celle-ci représente l'avenir du 4e art. Il a fait vibrer les planches dans toutes les régions d'Algérie et a tenu à le promouvoir même dans les villes les plus enclavées de l'extrême sud du pays. Je tiens à souligner que jusqu'au dernier instant de sa vie, il était toujours présent en tant que directeur du Théâtre, il s'enquérait et suivait tout ce qui s'y passait. C'était quelqu'un de très méticuleux, qui avait des objectifs clairs et savait comment les atteindre». Fethennour ajoute que : «En tant que personne, M'hamed Benguettaf était pour moi un père, un ami, un confident et un soutien. Je me sens orphelin par sa disparition. Je tiens à le citer, car il répétait sans cesse que le meilleur hommage qu'on puisse rendre à un artiste c'est de laisser les lumières des planches allumées après sa disparation. J'espère que ce qu'a construit Benguettaf sera poursuivi et conservé. Le véritable hommage qu'on peut lui faire aujourd'hui est d'ouvrir encore plus d'espaces pour les jeunes, les productions théâtrales, et ouvrir plus d'espaces pour la formation, car elle était son crédo numéro un. Allah Yerahmou.» Pour sa part, Abdelkrim Lahbib, directeur technique du TNA, également éprouvé par cette disparition confie que «c'était un ami et un grand frère. Je l'ai connu personnellement et côtoyé depuis 1966 et je peux témoigner qu'il était apprécié par les grands noms du théâtre algérien, à l'instar d'Agoumi, Alloula, Nouria, parce qu'il avait quelque chose à dire. C'était un comédien de haute qualité et un metteur en scène minutieux. Il était d'une amabilité et d'un humanisme extraordinaire. A un certain moment il a quitté le TNA, pour créer Masrah Al Kaala, avec Azzedinne Medjoubi, Sonia et Zianni Cherif Ayad. Il faut souligner qu'il était l'auteur de toutes les pièces de cette troupe indépendante qui avait apporté un souffle nouveau au théâtre algérien». Lahbib témoigne également de la volonté de transmettre le flambeau à la jeunesse porteuse d'espoir en soulignant : «Quelques années plus tard, à sa nomination en tant que DG du TNA, il a d'emblée misé sur les jeunes avec une politique de la promotion de la jeunesse. C'est avec enthousiasme que nous avons suivi les orientations de M'hamed Benguettaf, pour l'éclosion de jeunes talents et de la création féminine dans les différents domaines de théâtre. Puis c'est grâce au Festival national du théâtre qu'il y a eu l'ouverture d'autres espaces d'expression théâtrale et cela a fait effet boule de neige pour que l'art résonne de nouveaux sur les planches.» Pour sa part, la comédienne Fayza Amal qui était effondrée par la nouvelle, a déclaré que «l'annonce de sa mort est terrible. Je le considère comme mon père spirituel. En tant que directeur il ne s'est jamais comporté avec nous en tant qu'administrateur. Il nous soutenait sans cesse pour évoluer dans notre domaine et explorer de nouvelles pistes. Il ne cessait de nous encourager pour aller de l'avant. Lorsqu'il voulait faire une remarque, c'était toujours avec tact et une infinie délicatesse, tel un père avec ses enfants. C'est une grande perte irremplaçable». Pour le comédien Fouad Zahed, «le théâtre a perdu un véritable pilier. Il a su construire une véritable famille du théâtre, réussissant même à réconcilier les artistes avec les journalistes au-delà des critiques des uns ou des autres. Je me souviendrais toujours de son assiduité à assister aux répétitions et les précieux conseils qu'il nous prodiguait, même les critiques les plus virulentes, il nous les faisait avec une infinie tendresse en commençant par dire mon fils, mes enfants». Pour sa part, Yacine Zaid, la voix nouée par l'émotion, confie : «C'est un jour difficile, non seulement pour les artistes de théâtre mais pour tout le monde de la culture, car il avait su créer des passerelles entres les différentes expressions culturelles en faisant du TNA une véritable bulle d'oxygène pour la création, tant dans le domaine de l'écriture que de la musique et même des arts plastiques. A chaque fois que je le croisais, soit dans une répétition, dans un bureau ou même dans un couloir, il m'enrichissait d'un proverbe, d'une citation ou d'une devise. C'est très difficile pour moi car il m'a beaucoup apporté. Son conseil le plus précieux, comme il savait que je prends tout à cœur et que je m'emporte rapidement, il m'a cité son propre père qui lui disait : ‘‘mon fils, lorsque tu es en conflit avec un personne, laisse toujours la porte entrouverte, car la réconciliation est toujours possible.'' Et cela m'a beaucoup aidé dans mon parcours personnel et professionnel.» Parmi la nouvelle génération de comédiens et metteurs en scène talentueux, fruit des encouragements de M'hamed Benguettaf, Abbas Mohamed Islam était aussi présent pour cet ultime adieu. Héritier de l'espoir de Benguettaf, il souligne «beaucoup de personnes disent que nous l'avons perdu. Je dis non, il est toujours présent. Malgré sa tragique disparition, il nous a laissé en héritage : sa passion du 4e Art qui illuminera éternellement notre cœur. Il a laissé derrière lui toute une nouvelle génération à qui il a su transmettre ses convictions profondes de l'abnégation au travail et le sens de l'humanisme. Il nous a appris comment semer l'amour dans les cœurs au-delà de tous les clivages. Dieu est témoin qu'il a ouvert les portes à tous les jeunes. Personnellement, j'ai eu la chance de partager les planches avec ce pilier du théâtre algérien. Il est très généreux sur scène en partageant son expérience et ses précieux conseils. Je me permets de demander à certaines personnes de ne pas être ingrates, car je suis sûr que tout ce qu'il a semé et toutes ses contributions pour le théâtre algérien cette dernière décennie apporteront leurs fruits. L'histoire sera témoin de son apport indéniable à la résurrection et l'essor du 4e art dans notre pays.» Tous ceux qui se sont déplacés au Théâtre national algérien ont été ensuite transportés par bus spécialement affrété afin d'accompagner la dépouille de leur regretté père spirituel à sa dernière demeure au cimetière d'El Alia. Repose en paix «Cheikh» Benguettaf, au-delà de ta disparition, les graines que tu as semées fleuriront dans une lumière scintillante sur les planches de tout le territoire de ta patrie bien-aimée. Adieu l'artiste, tu seras éternellement dans nos cœurs. S. B.