Les cultures populaires constituent un thème qui revient avec insistance dans ces colonnes. Un intérêt particulier est régulièrement accordé au patrimoine culturel immatériel du peuple algérien qui restera, à jamais, une grande source d'inspiration. Longtemps dédaigné, ce riche trésor oral, véritable socle identitaire, dépeint parfaitement la personnalité collective. Dans ce registre, les contes, les fables, les berceuses, les morales, les adages et les légendes, qui ont façonné l'enfance de plusieurs générations d'Algériens, font aujourd'hui l'objet de recherches, thèses ou de journées d'études. Les universitaires et les littérateurs, à l'origine de ces louables initiatives, sont animés d'un même élan pour la préservation et la sauvegarde de cet héritage qui a été longtemps délaissé. En effet, passant subitement de l'oralité à l'écrit, la société n'avait pas pris le soin de consigner tout ce répertoire au profit des générations montantes. Une erreur d'appréciation et une défaillance regrettables qui seraient à mettre sur le compte du système scolaire, des institutions culturelles, des élites lettrées et des acteurs associatifs. Par le passé, tous ces intervenants du champ culturel n'avaient pas accordé à cette culture ancienne l'importance qu'elle mérite. Aujourd'hui, avec le développement de la télévision et des technologies de la communication, on réalise que partout ailleurs, on a non seulement préservé ce legs, mais on l'a développé à travers son adaptation en films d'animation, saynètes et jeux et manuels scolaires pour enfants. Faute de production similaire sur place, nos petits ont été, en quelque sorte, contraints de téter à la mamelle de ces cultures étrangères qui ne s'adaptent pas nécessairement avec leur psychologie et leur environnement. Force est de constater effectivement que les dessins animés, les BD et les mangas qu'on leur propose, illustrent des situations auxquelles ils ne comprennent pas grand-chose. Et pourtant, le génie populaire regorge de ce type de narration que les grand-mères transmettaient jadis patiemment autour l'âtre. Des chroniques colorées mixant des ambiances et des sensations diverses. Il y est question d'ogresses, de nains, de princesses, de palais fastueux, de villages montagneux, de paysans besogneux, de personnages malicieux, de grands chasseurs, d'aventuriers et de sages animant des histoires fabuleuses et captivantes. On parle d'amour, de haine, de jalousie, de finesse, de peur, de courage, de joie, de vie et de mort. On retrouve aussi, dans un autre registre, de beaux récits mettant en scène des animaux : le chacal et l'hérisson, le lièvre et la tortue, le renard et le serpent, la fourmi et la cigale, le roi lion et les autres sujets de la forêt. Tous ces contes portent toujours un message sous forme de morale. Ils célèbrent invariablement les bonnes valeurs : le sérieux, le travail, la générosité, le respect et la tolérance. Cette culture orale offre, du coup, un support pédagogique de grande valeur. Récemment, la ville de Béjaïa a abrité un colloque international sur le conte pour mettre, justement, l'accent sur cette thématique. Dédié à la mémoire du conteur Rabah Belamri, le séminaire a réuni une pléiade d'universitaires et d'écrivains, algériens et étrangers, pour montrer la richesse et la grande valeur de la culture orale. L'universitaire Malika Boudalia-Greffou développa la nécessité de réintroduire le conte comme pratique pédagogique de base à l'école algérienne en s'inspirant de la réussite de l'école européenne «dont les programmes portent un corpus d'un millier de contes». La conférencière revendiquera l'introduction de l'oralité dans les relations entre formateurs et apprenants contre l'usage-écran du manuel scolaire. «Il est inconcevable que dans le pays de l'oralité multimillénaire il n'y ait pas un seul conte dans les programmes scolaires !», dira-t-elle. La transmission du lexique, la formation de l'imaginaire, le transfert des valeurs sociales de base, la préparation de l'enfant à l'entrée dans le monde réel par la création narrative dans son imagination d'un monde virtuel avec tous les attributs édulcorés de la réalité sont, ensuite, cités comme autant de vertus du conte. Dans la même veine, Dehbia Ammour, docteur en anthropologie, spécialiste de la pédagogie du conte, développa avec bonheur l'éducation par le conte en milieu scolaire et les apports du conte dans les espaces de travail et d'activité professionnelle. Denise Brahimi, anthropologue connue pour ses travaux dans le domaine, ressuscita la grande conteuse Taos Amrouche. Les 23 contes du «Grain magique sont autant de ponts vers l'universalité culturelle», dira-t-elle en faisant le lien entre l'œuvre de Taos et les apports des grands narrateurs à travers le monde. Tassadit Yacine, Ghania Aouadène, Rachid Oulebsir, Hamma Meliani, entre autres animateurs du colloque, insistent également sur la nécessité de remettre cette riche culture populaire au goût du jour. Incontestablement, il y a aujourd'hui un réel besoin à consigner ce patrimoine immatériel en favorisant l'accès direct aux enfants. Ecrivains, pédagogues, caricaturistes, peintres et dessinateurs doivent coopérer dans cette restitution avec le souci de garantir l'autonomie de l'usage aux petits. K. A.