Les cultures populaires, riche palette de l'identité algérienne, sont en recul permanent un peu partout à travers le pays. Leur mode de transmission oral constitue un sérieux handicap à leur pérennisation effective. Les autorités de tutelle, depuis l'indépendance du pays à ce jour, n'ont pas fait grand-chose pour dépasser cette fragilité à travers un effort constant de promotion et de sauvegarde. Dédaignées et folklorisées, elles ont été circonscrites, presque sciemment, dans les chaumières et les villages enclavés. Du temps du parti unique, cette extraordinaire diversité a été considérée comme un facteur potentiel de division. La politique publique s'est évertuée à développer la culture dite «savante» avec l'arrière-pensée d'une uniformisation socioculturelle. Les modes d'expression modernes, adoptant des instruments et des préoccupations que l'on peut qualifier d'universels, prédominent, alors, dans les écoles spécialisées et les instituts de formation. Les artistes et les intellectuels, qui en sont issus, éprouvent, aujourd'hui encore, une certaine gêne à se ressourcer dans la vieille culture locale, considérée comme marginale ou arriérée. Survivant à l'étroit, ce riche patrimoine immatériel a beaucoup perdu de son éclat. La télévision, Internet et le téléphone portable, entre autres moyens de communication de masse, ont progressivement influé sur les mœurs et les besoins des créateurs et du public. Aujourd'hui on constate que les contes, les fables, les chants, les berceuses, les morales, les adages et les légendes, qui ont forgé l'enfance de plusieurs générations d'algériens, tendent malheureusement à tomber dans l'oubli éternel. Passant subitement de l'oralité à l'écrit, la société se rend compte qu'elle n'avait pas pris le soin de consigner tout ce répertoire au profit de cette jeunesse qui monte. L'école, les institutions culturelles, les élites lettrées et les acteurs associatifs ont visiblement sous-estimé cette culture ancienne pour lui accorder l'intérêt qu'elle mérite. Le précieux héritage est en voie de disparition. De nombreuses jeunes mamans, à court d'historiettes à raconter pour rythmer le mouvement de bascule du berceau, fouinent dans les librairies à la recherche d'un livret de contes à mettre au chevet du môme. Les traductions de La Fontaine se vendent comme des petits pains. Des brochures chinoises, des BD étrangères ou des mangas japonais sont aussi appelés à la rescousse pour entretenir l'imagination débordante du bambin qui veut rêver les yeux ouverts. Et pourtant, le génie populaire regorgeait autrefois de ce type de narration que les grand-mères transmettaient patiemment autour l'âtre. Des chroniques colorées mixant des ambiances et des sensations diverses. Il y est question d'ogresses, de nains, de princesses, de palais fabuleux, de villages montagneux, de paysans besogneux, d'êtres malicieux comme Djeha, de grands chasseurs, d'aventuriers et de personnages sages et lucides animant des scénettes captivantes. Il y est question d'amour, de courage, de vertu, de finesse, de haine, de jalousie, de perfidie. On retrouve aussi, dans un autre registre, de beaux récits mettant en scène des animaux : le chacal et le hérisson, le lièvre et la tortue, le renard et le serpent, la fourmi et la cigale, le roi-lion et les autres sujets de la forêt. Tous ces contes portent toujours un message sous forme de morale. Ils célèbrent invariablement les bonnes valeurs : le sérieux, le travail, la générosité, le respect et la tolérance. Ces histoires de grand-mères entretiennent aussi l'imagination et le sens de la répartie, comme elles développent le goût du savoir et de la connaissance. Les rares recueils de contes et de poèmes du terroir, souvent écrits dans une langue étrangère amoindrissant leur originalité, n'ont pas eu de grands succès en librairie, pour encourager les éditeurs à faire davantage. Concernant les chants traditionnels, la mollesse des maisons du disque se justifie probablement par les mêmes considérations commerciales. Là aussi, on doit peut-être souligner que le profil du consommateur, issu d'un système qui s'en éloigne, ne s'y prête pas tellement. A la faveur d'une relative prise de conscience - tardive, doit-on dire-, on note ces dernière années un certain engouement pour les fêtes et les rites locaux. L'apport du mouvement associatif dans cette lente résurrection des pratiques séculaires est essentiel. Un retour aux sources qui s'avère instructif, mais également bien utile en l'absence d'une offre culturelle institutionnelle à la hauteur des attentes. La monotonie mortifiante des établissements culturels incite, désormais, les populations à s'organiser pour redonner du sens aux activités traditionnelles. Les savoirs séculaires, les fêtes coutumières et les pratiques ancestrales sont convoqués à l'occasion pour combler ce vide sidéral. Beaucoup de citoyens ignoraient, en partie ou complètement, ce volumineux héritage qui constitue le substrat de la mémoire collective. Les festivités rituelles des sociétés berbères comme Timechret, Dhiafa, Anzar, Amenzou n'yennayer, Ass n'temghart, Aderyis ou Amezouar n'tefsut font partie de ce patrimoine immatériel qu'on redécouvre aujourd'hui peu à peu. Cette dynamique «embryonnaire», en quête d'appui et d'encadrement institutionnels, mérite l'attention et les encouragements de l'administration et des responsables du secteur de la culture. Ce serait un juste retour des choses. K. A.