L'affaire opposant la compagnie Alliance Assurances et l'entreprise de transport de voyageurs Tahkout Mahieddine ne finit pas de surprendre. Dimanche dernier et lors de la tenue du procès en appel à la Cour de Boumerdès, un rebondissement très inattendu s'est produit. Le document, objet du conflit, et sur la base duquel a été condamné en première instance le P-dg d'Alliance Assurances, s'est avéré être une copie et non un original. En fait, pour comprendre l'importance de ce rebondissement, il faut revenir sur la genèse de cette affaire. En 2011, Mahieddine Tahkout a porté plainte pour faux et usage de faux au pénal contre Hassen Khelifati. Le faux porte sur un contrat d'assurance contracté entre son entreprise de transport de voyageurs et Alliance Assurances, conclu la même année. Dans sa plainte, Mahieddine Tahkout a contesté le contrat le liant à Alliance Assurances au terme duquel l'assureur réclamait dans une procédure judiciaire le règlement d'un impayé de 500 millions de dinars. De son côté, le P-dg d'Alliance Assurances a contesté l'authenticité des paraphes sur le contrat présenté par son adversaire. L'enjeu de l'affaire est financièrement lourd. Lors du procès en première instance qui s'est ouvert, en janvier 2013, devant le tribunal de Rouiba, Hassan Khelifati s'est vu condamner à 18 mois de prison ferme pour «faux et usage de faux» et à 50 000 dinars d'amende et 500 000 dinars de dommages et intérêts. Une décision de justice «incompréhensible» pour ses avocats qui n'ont eu de cesse de réclamer une expertise graphologique surtout que l'ordonnance de complément d'enquête demandait «l'établissement du faux». Certes, la loi n'oblige pas le juge à recourir à une expertise. Mais dans le cas du faux non avoué, la jurisprudence parle de «l'établissement du faux», autrement dit, il s'agit d'apporter la preuve du faux. Seule une expertise graphologique des documents aurait permis de démontrer l'authenticité ou non des paraphes sur le contrat contesté. Les avocats de M. Khelifati avaient, précisons-le, présenté lors du procès en première instance les conclusions d'un expert français assermenté sur le contrat incriminé et sur celui produit par l'entreprise Tahkout. Cette expertise française a conclu que le contrat de M. Khelifati était authentique et que celui présenté par la partie adverse était un faux. Le tribunal ne pouvait certes pas se prononcer sur la base d'une expertise produite par la partie mise en accusation, raison pour laquelle les avocats de M. Khelifati insistaient auprès du juge afin qu'il recoure à une expertise judiciaire avant de prononcer son jugement. Le tribunal de Rouiba n'a pas jugé nécessaire d'ordonner l'expertise des documents litigieux afin de trancher le différend et M. Khelifati, condamné, a dû faire appel. L'affaire a été rejugée de nouveau en avril 2013 devant le tribunal correctionnel de Boumerdès qui a demandé d'expertiser le document objet de litige. Une expertise qui a été confiée par la même juridiction à un expert de l'Institut national de criminalistique et de criminologie (Incc). Et c'est là que le rebondissement se produit ! A l'ouverture du procès en appel, il est ainsi appris qu'il n'y a pas de rapport d'expertise mais une lettre du directeur de l'Incc qui indique que l'expertise n'est pas possible car les documents, objets de litige, ne sont pas des copies originales. A ce propos, Me Bourayou, avocat de M. Khelifati, a tenu à exprimer son incompréhension de voir le directeur de l'Incc répondre à la justice au lieu que ce soit l'expert désigné. «La justice désigne un expert judiciaire, seul habilité à lui répondre. Ce n'est pas lui qui répond mais le directeur de l'institut, on ne sait pas à quel titre», s'est demandé l'avocat de la défense avant de jeter un pavé dans la mare. Me Bourayou a soutenu que la substitution des quatre premières pages originales du contrat par des copies est un «acte grave. C'est une dérive et une faillite. Ce document a été saisi par la justice et était entre ses mains. Si les documents au niveau de la justice ne sont plus en sûreté, c'est la banqueroute». «Qui a eu accès au document ? Qui a changé les originaux pour mettre des copies ? A qui profite le crime ? Nous allons déposer une plainte contre X», a affirmé l'avocat qui n'a pas manqué lors de sa plaidoirie devant le tribunal près la Cour de Boumerdès de s'adresser au juge pour dire : «Ce dossier se termine comme il a commencé : sans expertise. Puisque vous dites qu'il y a des documents présentés par chacune des deux parties de ce conflit, étudiez chaque document pour déterminer celui le plus conforme à la loi sur les assurances, par rapport aux tarifs et franchises. Vous pourrez ainsi déceler lequel des deux est un faux intellectuel.» La défense d'Alliance Assurances a demandé à la fin la relaxe de M. Khelifati. Pour leur part, les avocats de M. Tahkout, ont demandé le maintien du premier jugement et l'augmentation des dommages et intérêts. Le procureur a également demandé le maintien de la même peine. L'affaire a été mise en délibéré et le verdict a été fixé pour le 9 février prochain. H. Y.