Le premier ouvrage, paru à La Découverte, se présente pourtant comme une entreprise collective de «chercheurs», politologues, géographes, professeurs, essayistes, dramaturges, humanitaires... Malgré l'excellente préface de Bertrand Badie - qui sert d'alibi scientifique à l'entreprise -, on comprend vite qu'il s'agit d'instruire le procès en sorcellerie de l'opération Serval considérée comme la Xème expédition canonnière du retour éternel de la «Françafrique». Que n'a-t-on dit et écrit au nom de cette substance métaphysique selon laquelle les relations entre Paris et ses anciennes colonies n'auraient pas changé depuis Jacques Foccard... En dressant un faux continuum entre les guerres d'Afghanistan, d'Irak, de Libye, de Côte d'Ivoire et du Mali, nos chers professeurs nous resservent la fable d'un Occident monolithique déclenchant des opérations de police militaire pour la seule défense de leurs intérêts économiques. Une intervention «merdique» Dressant les louanges de l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU - la très francophobe Susan Rice, désormais conseillère à la sécurité auprès d'Obama -, qui avait qualifié l'intervention française de «merdique», ils ressortent la veille batterie de cuisine diffamante que les agités de «Survie» nous avaient déjà servi lors des génocides rwandais, ne cessant de traîner les armées françaises dans la boue ! La cerise sur le gâteau est déposée par le propre éditeur du livre - multirécidiviste en matière de théologie du complot -, puisqu'il n'hésite pas à réaffirmer, sans ciller, que tous les islamistes sahéliens sont des agents des services algériens... Voilà qui éclaircit la compréhension du dossier. Enfin, la morale de l'opération Serval résiderait dans la seule défense des zones d'extraction d'Uranium de la région au profit de la société française Areva... On touche ici à l'essence même de cette théologie de la francophobie ordinaire : les Anglo-saxons fabriquent les meilleurs normes juridiques et arguties médiatiques pour défendre leurs intérêts économiques et financiers dans le monde. Ce sont les plus forts... car ils sont tellement créatifs en matière de soft et smart power ! Mais que la France éternelle s'avise diplomatiquement, militairement ou culturellement à prétendre défendre les siens est proprement insupportable, relèvant purement et simplement du plus abominable néocolonialisme. Cqfd... Dans sa défense opposée, sinon apologétique de l'opération Serval, la seconde livraison n'est guère plus brillante. Malgré quelques remarques judicieuses sur les particularités politiques et stratégiques shéliennes de l'Algérie, elle nous sert un bout-à-bout des communiqués de la Dicod (service de communication du ministère de la défense) avec quelques rappels approximatifs tirés du manuel «Al-Qaïda pour les nuls». Pas un mot sur les causes économiques et politiques en amont de la crise (sécheresses, famines récurrentes et Etats faillis), sur le travail réalisé par notre ancien ambassadeur chargé du Sahel (l'excellent Jean Félix-Paganon), ni sur les conséquences de la guerre désastreuse ayant mis fin au «régime politique exécrable» de Libye. Là-aussi, on comprend vite que la vraie finalité de ce petit livre pressé n'est pas l'intelligence de la crise et de ses conséquences, mais la consolidation de quelque position dans le petit monde politico-médiatique parisien. Salade niçoise Les dernières pages intitulées «La revanche de l'armée de Terre» sont, à l'évidence, opportunément téléphonées après un accouchement difficile du Libre blanc et la mise en perspective de la Loi de programmation militaire. Morceau de bravoure : «La dissuasion nucléaire ayant été sanctuarisée par l'Elysée, l'armée de l'Air portée aux nues par la crise libyenne et le concept de maritimisation mis sur le devant de la scène à cause des pirates somaliens et des questions énergétiques, l'armée de Terre redoutait d'être la principale victime des arbitrages budgétaires en préparation». Quelle salade niçoise et surtout quelle méconnaissance des réalités de la Marine nationale et des enjeux français face à la nouvelle géopolitique des mers et des océans ! Conclusion de cette petite entreprise de communication laborieuse : braves gens, n'oubliez pas que «l'Iran poursuit sa marche vers la bombe malgré les sanctions de la communauté internationale». Bien-sûr, on s'attend déjà à un prochain livre définitif sur la question. Consternant ! L'engagement de la diplomatie et des armées françaises au Sahel et en Afrique méritait mieux que cette double inconstance autant improvisée que dirigée. Dans son ultime livraison avant dissolution[2], la revue des auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale (Ihedn) consacrait son grand dossier à «L'équation sahélienne». Les contributions des meilleurs experts du Sahel et du terrorisme islamiste - Alain Chouet, André Michel, Johanna Vimeux et Jérôme Spinoza -, n'ont pas pris une ride ! Evidemment, à l'époque, cette expertise des plus pertinentes n'a pas eu l'avantage de retenir le moindre intérêt de nos grands journalistes pressés, ni de nos chercheurs agrégés en néocolonialisme. Dommage ! Ils auraient pu y trouver quelques concepts susceptibles de les réveiller, un peu, de leur sommeil dogmatique... L'esprit corsaire à l'abordage ! Au lendemain du lancement de Serval, nous écrivions pour espritcors@ire que la France n'avait pu faire autrement que d'empêcher la prise de Bamako par les djihadistes sahéliens, que cette guerre africaine ne ressemblait pas aux précédentes, enfin qu'elle produirait fatalement des effets induits qui concerneraient l'ensemble du Sahara, des côtes du Sénégal jusqu'au Yémen. Nous y sommes ! Traversant plusieurs Etats sahéliens, cette crise est macro-régionale et sa dimension touarègue la transforme irrémédiablement en question saharienne. En effet, intervenir au Mali, c'est entrer dans l'ensemble interactif des problématiques mauritanienne, nigérienne, libyenne et soudanaise sans parler de leurs logiciels algérien, qatari et saoudien. Principalement, cette crise s'enracine dans une pathologie sociale polymorphe faite d'extrême pauvreté, d'insécurité alimentaire, sanitaire, environnementale et institutionnelle ouvrant des boulevards rectilignes à la corruption, à tous les trafics du crime organisé et aux visées stratégiques des puissances régionales et internationales. L'année dernière, un ancien ambassadeur de France au Niger (très bon) a pris l'initiative de réunir une quinzaine de chefs coutumiers du Sahel à Paris (et pas seulement des Touarègues). Ces dignitaires qui vivent au Sahara n'ont pas demandé une modification des frontières issues de la décolonisation, mais une certaine autonomie laissant aux «Sahariens» la possibilité de redevenir sujets, sinon citoyens de leur propre avenir. Leur plus grand souhait consiste à reconstruire, à partir des accords d'Alger de 2006[3] - qui n'ont jamais été mis en œuvre -, pour désenclaver le Sahara afin d'y permettre un développement économique minimal susceptible de faire vivre ses petites populations. Pour l'heure, il s'agit de dépasser le cloisonnement traditionnel séparant les logiques de l'aide humanitaire d'urgence de celles d'un développement autocentré plus durable. Les outils existent, notamment depuis 2000, un Cadre stratégique de sécurité alimentaire (Cssa) associant l'ensemble des acteurs étatiques et non-étatiques. Développement et terrorisme Certes, s'il en est l'un des principaux moteurs, le mal développement n'est pas la seule cause du terrorisme. Celui-ci continuera à demander des ripostes sécuritaires et militaires appropriées. Parallèlement, des moyens efficaces de lutte contre les trafics du crime organisé devront être mis en ligne. Ainsi, un groupe aéronaval - comparable à celui qui a pleinement réussi le long de la Corne -, devra être déployé, à terme, pour lutter contre la piraterie qui progresse, du golfe de Guinée, en suivant les côtes de l'Afrique occidentale. Entre le Sénégal et les Guinée Bissau et Conakry, ce groupe aéronaval - emblématique de la maritimisation de nos économies globales donc des menaces, n'en déplaise à nos journalistes précédemment cités -, devra aussi impérativement casser les routes maritimes et aériennes des narcotrafiquants latino-américains. Si elles parviennent, un jour, à mobiliser un minimum de coopération multilatérale, ces deux perspectives pourraient changer la donne de la malédiction sahélo-saharienne. A la décharge (très très limitée) de nos thuriféraires de la Françafrique, on peut, en effet, regretter que les éléments de langage de l'Elysée, de Matignon, de la rue Saint-Dominique et du Quai d'Orsay, accompagnant Serval, aient puisé dans la rhétorique inappropriée, parce que fausse et archi-fausse des néoconservateurs américains et de leur croisade illusoire contre la terreur... L'expertise française en matière d'anti-terrorisme et de contre-terrorisme est suffisamment riche et diversifiée (Alain Chouet, Jean-François Clair, Louis Caprioli, Bernard Squarcini, etc.) pour ne pas se contenter de reproduire une communication d'Outre-Atlantique dont on connait les résultats pathétiques. Que font les crânes d'œufs des cabinets ??? Avec d'autres, nous ne cessons de le répéter depuis le 11 septembre 2001, et même depuis les attentats de Louxor (1997), Nairobi et Dar es-Salam (1998) : on ne fait pas la guerre au terrorisme, on ne fait pas la guerre à un mode opératoire... R.L. in mondafrique.com [1] «La guerre au Mali – Comprendre la crise au Sahel et au Sahara/Enjeux et zones d'ombre». Editions La Découverte et «Notre guerre secrète au Mali – Les nouvelles menaces contre la France». Editions Fayard. [2] Défense (Enjeux de défense et de sécurité civils et militaires, numéro 149/janvier-février 2011. [3] Conclus à Alger, le 4 juillet 2006, sous médiation algérienne entre les représentants de l'Etat malien et ceux de l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement, les Accords d'Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, fixent les modalités du développement du Nord Mali. Ils visaient à un retour à la normalisation des rapports entre la 8e région du Mali, la zone de Ménaka et l'Etat malien (suite au soulèvement touareg du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka au Mali).