La grève des enseignants est à sa quatrième semaine consécutive. Au premier trimestre, un autre débrayage dans les lycées avait déjà duré deux semaines. Les écoles primaires, les CEM et les lycées sont aujourd'hui dans l'œil du cyclone. Faisant fi du verdict de la justice confirmant l'illégalité du débrayage, les contestataires poursuivent leur bras de fer avec le ministère de tutelle au risque de compromettre l'exercice scolaire. À l'initiative de syndicats dits autonomes, les fonctionnaires de l'éducation réclament une hausse substantielle des salaires et autres indemnités, et le départ à la retraite après 25 ans d'exercice. En dépit de plusieurs revalorisations qui leur ont été exclusivement accordées au cours des dernières années, suite à des mouvements de protestation similaires, les enseignants exigent encore davantage et croisent résolument le fer avec les pouvoirs publics, allant jusqu'à «mépriser» une décision judiciaire clairement rendue à leur encontre. Evidemment, cela ressemble à un acte de défiance et de rébellion à l'endroit de l'Etat, indigne d'un éducateur qui, en principe, devrait toujours donner l'exemple. Les autorités, qui auparavant se laissaient faire, affichent aujourd'hui une espèce de fermeté pour ne pas mécontenter les autres corps de la Fonction publique. Ces derniers, du moins jusqu'à présent, patientent et se gardent de s'engager dans cette rivalité corporatiste pour solliciter, à leur tour, un traitement semblable. Le cursus scolaire des élèves est, à chaque année, perturbé par d'interminables «chicanes» de cette espèce. Depuis au moins une quinzaine d'années, on n'arrive plus à achever correctement les programmes pédagogiques en raison des retards ainsi cumulés. Les examens de passage aux paliers supérieurs portent souvent sur une infime partie des cours prévus au programme. Résultat : le niveau éducatif des élèves est catastrophique. À la fin du cycle primaire, l'élève, visiblement mal encadré, peine à lire, à compter ou à s'exprimer correctement. Au CEM et au lycée, il cumule aussi d'autres déficiences pour les mêmes raisons. Une fois à l'université, il se retrouve dans l'impossibilité de remédier à toutes ces lacunes. En un mot : le secteur de l'éducation est en crise. Les réformes introduites par l'ancien ministre n'ont pas porté de fruits si ce n'est l'exacerbation des rivalités corporatistes. L'enseignant du lycée, se prévalant de son statut, veut être mieux payé que ses collègues du CEM. Ces derniers veulent toujours plus que le maître d'école. Les proviseurs, les intendants, adjoints d'éducation et les corps communs se joignent aussi à cette course effrénée aux avantages, sans se soucier vraiment de la formation et de l'avenir des enfants. L'administration, ankylosée, se contente exclusivement de la «gestion» de ces conflits sociaux répétitifs. Les parents, taraudés par les aléas du quotidien, ne se mêlent de l'éducation de leurs enfants qu'au moment des conflits. La société civile, quand cela lui arrive de s'intéresser au dossier, s'embourbe dans des prises de position vagues et nettement politisées. Oui, l'école algérienne est franchement sinistrée. Même si l'on peut épiloguer sur les moyens matériels à mettre en œuvre et l'amélioration des programmes scolaire, le problème central réside dans l'absence de volonté des acteurs eux-mêmes. L'enseignant est victime d'un corporatisme de courte vue. L'administration, bureaucratisée et gangrenée par toutes sortes de maux, est aussi paralysée. Dans la société, de manière générale, l'image de l'école s'est gravement détériorée. Le citoyen ordinaire n'accorde plus à l'instruction la même importance qu'autrefois et agit comme si l'enseignement était facultatif, un luxe sans valeur marchande. La crise de l'école, dans sa profondeur, résulte de ce dérèglement de l'échelle des valeurs sociales, de cette ruée collective vers l'argent facile. À la lumière de ce constat sommaire, on réalise que la véritable réforme de l'école ne peut être dissociée de la refonte, globale, de tout le système de valeurs. K. A.