Le pouvoir de l'Administration et sa bureaucratie chronique n'est pas l'œuvre d'un coup de force contre les institutions élues et l'ordre constitutionnel. Il est le rempart de l'Etat jacobin, qui veut tout contrôler et soumettre les acteurs sociaux et économiques par l'usure et la contrainte. Cet état de fait, dont l'objectif initial était la pérennité du système, a fini par créer les conditions du pourrissement général, du clientélisme, de la corruption, des passe-droits et de l'abus de pouvoir. La dictature de l'Administration est tellement ancrée dans le système algérien, qu'il faut un printemps pour la déraciner. Héritée du système colonial fortement centralisé, la bureaucratie en Algérie a pris le pouvoir dès l'avènement de l'Etat national, à travers des réflexes pavloviens d'une administration monolithique et omniprésente dans tous les secteurs. Comme une toile d'araignée, la bureaucratie règne en maître absolu sur le fonctionnement de l'Etat, de ses institutions centrales et ses démembrements au niveau local. Le citoyen fait face à ce phénomène dans sa vie de tous les jours dans les administrations locales censées être à son service. Est-il normal que l'état civil en Algérie n'entame son informatisation que tardivement pour faciliter la délivrance des documents sachant que l'Algérien est confronté systématiquement à l'exigence systématique d'un lourd dossier administratif pour toute démarche professionnelle, scolaire, économique et même médicale ? Cette obsession de paperasse a même contaminé les administrations économiques qui bloquent le processus de développement à travers des procédures lourdes, handicapantes et répulsives. La bureaucratie selon Weber, tend à veiller au respect des lois et règles dans le fonctionnement d'un Etat. La bureaucratie en Algérie a produit le résultat contraire, puisque les lois sont bafouées et la confiance des citoyens en leurs institutions est entamée. En juin 2011, lors d'une conférence de presse, après sa réunion avec les quarante-huit walis, le ministre de l'Intérieur a imputé le mal de l'administration locale aux petits cadres et au personnel d'accueil. Le ministre a promis une rupture avec les anciens réflexes par la création d'un nouveau cadre relationnel basé sur l'allégement et l'harmonisation des procédures en direction du citoyen, simple administré ou investisseur potentiel. Toutefois, il ne manquera pas de préciser qu'il n'y a pas de baguette magique pour que la situation soit maîtrisée du jour au lendemain. «Nous avons commencé par les choses sur lesquelles on peut progresser rapidement comme l'état civil, la carte grise, le permis de conduire, le passeport... Au plan de la promotion de l'investissement et du foncier économique, il était prévu des mesures pour faciliter l'accès au foncier destiné à l'investissement. Dans ce cadre, les autorités avaient affirmé en 2011, qu'entre autres contraintes, il est proposé la suppression de l'appel d'offres dans le but de favoriser l'investissement. En fonction de la disponibilité du terrain, le rôle du Calpiref permet d'aller plus vite. Les walis ont été instruits d'adresser à la tutelle des rapports sur tous les investisseurs, comme ils sont tenus de présenter les atouts de chaque wilaya susceptibles d'attirer des investisseurs. Une stratégie visant la réalisation de grands projets, devait être mise en œuvre. En revanche, il est accordé une priorité aux investissements devant permettre une substitution à l'importation et donc favoriser l'exportation. Trois ans plus tard, est-ce que les plantons font toujours la loi ? En fait, rien n'a changé parce que les agents d'accueil et les petits fonctionnaires obéissent à un système et non à des fantasmes. Selon des experts en économie, près de 50% des sociétés étrangères contraintes à quitter l'Algérie pour fuir «la corruption et la bureaucratie dans ce pays», se sont installées au Maroc. Selon le journal El Fajr, citant Fares Mansour, un expert en économie, les raisons de ces abandons sont dues à la corruption et à la bureaucratie qui entachent le climat d'affaires en Algérie. Les étrangers critiquent également la loi du 51/49 qui régit les investissements étrangers en Algérie et qui stipule qu'un investisseur étranger doit s'associer avec un opérateur local qui détiendra 51% du capital de la société créée, a-t-il ajouté. Si la formule du 51/49 est une décision souveraine justifiée notamment par des cas d'investisseurs qui ne respectent pas le principe de l'intérêt mutuel, l'administration met systématiquement les bâtons dans les roues d'investisseurs par les lois algériennes. Pour ce même expert, «l'Algérie est le pays le moins attractif en Afrique en ce qui concerne les investissements étrangers en raison de la bureaucratie et de la corruption». L'expert algérien cite le cas des sociétés françaises qui fuient l'Algérie pour s'installer au Maroc, estimant que la France privilégie le royaume pour la réalisation de ses grands projets à la faveur de la souplesse de ses lois. Une bureaucratie à deux vitesses Si on peut admettre que certains investisseurs étrangers fuient le marché algérien en raison de la règle 51/49 qui n'arrange pas leurs affaires, dans la mesure où tout ce qui les intéresse c'est de faire des bénéfices sans créer de richesses ni de l'emploi, encore moins le transfert du savoir-faire et de la technologie, comment expliquer les résultats de l'enquête de l'ONS qui montre que la bureaucratie est le principal obstacle à l'accès au foncier et à la création d'entreprises, notamment pour le secteur privé ? Le dossier administratif relatif à la création d'entreprise «est complexe» et les délais «sont longs», notamment pour le privé, conclut l'ONS. Selon ce dernier, 43,9% des chefs d'entreprise déclarent que le dossier administratif relatif à la création de l'entreprise est complexe. Toutefois, 44,2% des opérateurs privés considèrent le dossier administratif complexe contre seulement 19% de ceux du public, ajoute l'enquête. Près de 40% des chefs d'entreprise des deux secteurs considèrent que les délais de création d'une entreprise sont longs, dont 40,1% représentant le secteur privé et 24% celui du public, selon les résultats de l'enquête. Par ailleurs, l'ensemble des opérateurs touchés par l'enquête soulignent que l'accès au foncier reste «un handicap majeur» pour près de 27% des chefs d'entreprise, les entreprises privées étant les plus concernées. Les chefs d'entreprise indiquent aussi que le coût élevé du foncier reste l'obstacle principal selon près de 24% des enquêtés, notamment pour les plus petites entreprises (23,8%) et particulièrement celles exerçant dans le commerce. En effet, plus de la moitié des patrons des entreprises touchées par cette enquête, la première du genre, jugent que les moyens financiers restent un facteur important dans la décision initiale d'investir, dont 59% des entreprises privées et 37% des entreprises publiques. Par secteur d'activité, c'est le commerce qui affiche le taux le plus élevé en termes d'importance de la disponibilité des moyens financiers, avec près de 61%. S'agissant des principales sources de financement des investissements, le recours par les entreprises aux emprunts bancaires n'est pas une pratique courante, démontre l'enquête. Seulement 3,3% des entreprises déclarent les emprunts bancaires comme principale source de leur financement. L'autofinancement semble être la modalité la plus utilisée pour 83,2% des entreprises, tous secteurs confondus. Quant aux subventions de l'Etat, elles concernent près de 5% des entités tous secteurs confondus, avec 4,2% pour le secteur privé. Concernant les formules de l'emploi des jeunes, les dernières manifestations de ras-le-bol des jeunes du Sud, ont mis à nu l'Ansej et la Cnac qui tournent en rond sans pouvoir agir concrètement et efficacement pour répondre aux multiples attentes de la majorité des jeunes porteurs de projets de micro-entreprises. Pourtant, dans certains cas, des prêts ont été accordés à des jeunes avec une facilité déconcertante. Cependant, la majorité de ces jeunes ont cédé les équipements qu'ils ont achetés. Cette pratique est courante un peu partout, alors que les jeunes porteurs de projets viables attendent toujours que les banques répondent à leurs demandes. La bureaucratie, lit de la corruption et des émeutes Lorsque le Premier ministre s'en prend à la bureaucratie, veut-il dire que ce phénomène se développe sans la volonté de l'Etat ? Est-ce une manière de disculper les institutions qui légifèrent, qui décrètent et imposent les règles qui permettent à la bureaucratie de se renforcer et d'élargir le fossé entre l'Etat et les citoyens ? Ces derniers sont contraints à recourir à la corruption pour faire valoir leurs droits, à défaut, il leur reste la protestation souvent violente. Les entraves administratives qui imposent un parcours du combattant à toute démarche quelle qu'en soit la nature, nourrissent la lassitude et la démission des investisseurs dont les projets peuvent développer une région, créer de l'emploi et des richesses, et nourrissent la colère des citoyens qui occupent les rues pour faire entendre leurs voix et leurs doléances. Depuis au moins le début des années 2000, la contestation sociale sous forme d'émeutes n'a pas cessé. Les raisons de ces mouvements parfois violents, sont l'emploi, le logement, la sécurité, le népotisme. Toutes ces raisons sont sous-tendues par la bureaucratie et la corruption qui ponctuent le fonctionnement de l'Etat à tous les niveaux. Cet état de fait explique en fin de compte l'incapacité de l'Algérie de se doter d'un projet national clair, et d'entamer un processus de développement équilibré et visible à travers tout le pays. Les discours politiques sur la lutte contre la bureaucratie et la corruption sont vains et s'apparentent à une langue de bois pourrie. L'Algérie est victime de l'Etat jacobin fortement centralisé et qui ne peut survivre et assurer sa pérennité que grâce à la bureaucratie, à la corruption et au clientélisme. Le projet de réforme de l'Etat formulé par Missoum Sbih, jaunit dans les tiroirs parce que sa mise en œuvre menace tout le système et des intérêts colossaux. Dans le rapport Sbih, la décentralisation est au cœur du projet de l'impérative réforme de l'Etat. Au-delà de la séparation des pouvoirs, de la transparence dans la gestion des deniers publics et des budgets des différents secteurs, la valorisation des potentialités régionales qu'elles soient humaines ou économiques et culturelles, nécessite l'émergence des régions comme centre de décision et de gestion des affaires locales avec des responsabilités clairement définies et judicieusement réparties entre les différentes institutions intermédiaires. «Désadministrer» l'Etat signifie mettre un terme au pouvoir administratif exorbitant et étouffant qui empêche la valorisation des compétences et du génie créatif dans tous les domaines. Beaucoup d'études et de thèses sur la bureaucratie en Algérie ont été réalisées par des chercheurs algériens. Elles convergent toutes pour affirmer que la bureaucratie est un système politico-économique complexe qui freine tout développement et toute émancipation et que l'aisance financière ne peut rien contre ce phénomène. A. G.