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Annaba, plaque tournante du trafic de drogue, tente de se protéger
Drogue et insécurité dans l'environnement scolaire
Publié dans La Tribune le 14 - 01 - 2009

De notre correspondant à Annaba
Mohamed Rahmani
Avec les importantes saisies de drogue -principalement la résine de cannabis, les arrestations et les condamnations de dealers et de revendeurs, la situation n'a pourtant pas vraiment changé, la consommation et la vente continuent, touchant presque toutes les catégories de la population. On ne parle plus de kilogrammes mais de quintaux et de tonnes de ces substances de la mort interceptées dans toutes les régions du pays. Dans la région d'Annaba, le triangle Chetaïbi-Sidi Amar-Dréan avec, pour centre de gravité, le chef-lieu de wilaya, plaque tournante du trafic, approvisionne régulièrement le marché et il faut dire que la «pénurie» et «la crise» n'ont pas cours. On achète sa plaquette au coin d'une rue à l'abri des regards et on consomme son joint dans son quartier le soir à la faveur de la nuit en compagnie de ses amis. Ces dernières années, à Annaba, l'introduction de drogues dures, surtout la cocaïne -un kg de ce produit hautement toxique a été saisi par la Gendarmerie nationale, au mois de juillet 2006- a poussé les services de sécurité à revoir leur stratégie dans la lutte contre ce phénomène qui menace tout l'édifice social. Surveillance accrue, barrages de contrôle, patrouilles de la BMPJ, noyautage et infiltrations des milieux de la drogue, renseignements et autres ont quelque peu amélioré la situation. Eradiquer complètement ce fléau avec les maigres moyens dont disposent les services de sécurité relève de l'impossible. aujourd'hui on ne peut, tout au plus, qu'en réduire les quantités qui traversent les frontières. Cela reste insuffisant et il faudra combattre ce phénomène en amont, c'est-à-dire entreprendre des campagnes permanentes pour expliquer les dangers liés à la consommation des drogues.
Les ados pris dans l'engrenage
Les catégories les plus touchées par la consommation de drogue sont les jeunes et les adolescents qui, inconscients, touchent un jour ou l'autre à cette substance par curiosité pour «découvrir ce que c'est, y goûter et voir ce que cela donne, s'affirmer en tant qu'homme», une sorte de «redjla» qu'on paiera très cher, plus tard, parce qu'on aura détruit son avenir et sa vie. La consommation de drogue, jusque là limitée à certains milieux estudiantins dans les campus où l'on plane avec ses copains, a glissé pour toucher désormais les nombreux lycées de la région et s'y incruster pour s'installer durablement. Les psychologues affectés aux UDS implantés dans les établissements du secondaire avaient, à maintes reprises, tiré la sonnette d'alarme pour attirer l'attention des autorités sur ce phénomène qui prend de l'ampleur et menace cette catégorie fragile et exposée à toutes les vicissitudes. «Il y a des enfants qui se droguent régulièrement, nous confie un psychologue qui a préféré garder l'anonymat. Ils sont devenus accros et il est très difficile de les en débarrasser. Nous faisons tout pour les aider ; d'autres y touchent à l'occasion, et ceux-là on peut facilement les prendre en charge. Les causes, il faut les chercher du côté de la famille, du milieu dans lequel l'enfant évolue, de ses relations extérieures, des influences qu'il subit, de son cursus scolaire. C''est toute une enquête qu'il faut entreprendre pour bien comprendre la situation. Les enfants que nous avons vus refusent de révéler l'origine de la drogue qu'ils ont consommée. Ils ne vous diront jamais qui leur en a vendu. C'est une mentalité assez répandue chez l'Algérien, une forme de redjla.»
Les lycées touchés par le phénomène
Devant le lycée saint Augustin, à la sortie des classes, nous avons pu approcher quelques élèves pour évoquer avec eux le problème de la consommation de drogue et ses conséquences sur la santé. «Je n'y touche jamais, je sais ce que c'est, lance sur un ton très sérieux Redha en classe de terminale. C'est dangereux, une fois tombé dedans on n'en sort plus et puis à quoi ça sert ? A se détruire, à se tuer lentement ? Non, je n'en veux pas ! » Hamdi, en 2°AS, lui, voit la chose sous un angle différent : «C'est ‘'h'ram'' [péché]. Notre religion nous interdit de consommer toute substance qui pourrait détruire notre corps et notre esprit. Je ne comprends pas qu'il puisse y avoir des Algériens musulmans qui en consomment et encore moins qui en vendent. On devrait durcir les lois comme dans d'autres pays où la peine de mort est appliquée pour ces pourvoyeurs de la mort.» Une déclaration radicale qui a forcé le silence durant quelques secondes avant que Samir, un autre élève de la même classe, intervienne à son tour. «Qu'on le veuille ou non, la drogue circule à Annaba et il ne faut pas comme on dit chez nous ‘'cacher le soleil avec un tamis''. Il y a des élèves qui en consomment mais leur nombre est très réduit. Personnellement, j'ai réussi à convaincre l'un de mes copains à ne plus y toucher. Je suis avec lui tous les jours et il s'en sort bien. C'est resté strictement entre lui et moi. Si ses parents savaient et tels que je les connais, ils lui auraient mené la vie dure. Je pense qu'il faut comprendre les jeunes et qu'il ne faudraît pas directement aller à la répression pure et dure. Cela ne mène à rien. Il n'y a pas mieux que la communication pour arriver à les convaincre et à les ramener sur le droit chemin. »
Au lycée de Boukhadra, petite localité très populeuse située à l'entrée est de la ville, les élèves sont plus exposés au phénomène de la drogue. En effet, c'est un quartier chaud où des descentes de police sont souvent effectuées pour arrêter des dealers et opérer des saisies. Il n'est pas rare de voir des jeunes extra scolaires en consommer en plein jour dans les quartiers, suscitant ainsi la curiosité des lycéens qui sont tentés d'«essayer» ces étranges cigarettes. Certains y goûtent et y prennent plaisir ; d'autres bien informés sur les dangers de cette substance s'en éloignent et ne veulent pas en entendre parler. Dans cette agglomération, la pauvreté, la misère, le désœuvrement, la promiscuité et les conditions déplorables dans lesquelles vit la population ont depuis longtemps fait le lit de tous les fléaux sociaux qui s'y sont développés, l'école n'ayant pas été épargnée. «C'est surtout le soir au quartier qu'on se retrouve entre copains pour fumer un joint, nous confie Naouri, un élève en terminale. C'est pour nous le seul moyen d'oublier un peu l'environnement exécrable dans lequel on vit. Je sais que c'est mal. Je suis bien informé sur la question mais que voulez-vous, je suis pris dans l'engrenage et je ne peux plus m'en sortir. Peut-être que si je réussis au baccalauréat, les choses changeront ; je quitterai ce milieu pour aller à la fac.»
A Sidi Amar, dans les 2 lycées que compte cette petite localité à 10 kilomètres du chef-lieu de wilaya, c'est le même topo. Les élèves bien au courant du phénomène s'en éloignent du mieux qu'ils peuvent mais il y en a toujours qui sont pris au piège. «J'en ai consommé, nous dit Seif, élève de 2° AS. Cela s'est passé durant les veillées de l'été ; ce n'est pas bien et, aujourd'hui, je n'y touche plus. Je remercie Dieu de m'en être sorti ; j'en connais qui en consomment encore et qui n'en peuvent plus. Que Dieu les aide !» Il faut dire qu'avec l'ouverture, il y a 2 ans, de la sûreté urbaine extra-muros, la consommation de drogue dans cette localité a enregistré un net recul et c'est tant mieux pour la protection de ces jeunes facilement influençables et devenus la proie privilégiée des marchands de la mort.
Sur un autre plan, les associations de lutte contre la toxicomanie, les autorités locales avec l'appui de la gendarmerie et de la police organisent périodiquement des journées d'information et de sensibilisation sur les dangers liés à la consommation des drogues et des stupéfiants. Des agents spécialisés, des psychologues, des professeurs et des chercheurs interviennent au cours des conférences pour informer les jeunes sur les méfaits de ces substances toxiques qui empoisonnent la vie. Des projections vidéo exposant les ravages de la drogue sont présentées à l'assistance composée de lycéens et de collégiens considérés comme cible parce que à un âge où tout peut se jouer. Ces derniers transmettront et diffuseront ces informations à leurs camarades et autour d'eux de façon à toucher le maximum d'individus de cette catégorie. Ces rencontres viennent en complément des mesures prises pour mettre à l'abri de ce fléau les établissements scolaires de toute la wilaya. En effet, une surveillance discrète de policiers en uniforme ou en civil à proximité des lycées et des collèges est assurée par de jeunes agents qui observent tout mouvement suspect et qui interviennent dès qu'ils ont un quelconque soupçon au sujet d'une personne. Vérification d'identité, fouille du corps et s'il y a lieu contact radio pour emmener le suspect au poste.
Insécurité aux alentours des établissements
Cette surveillance n'est pas tout le temps effective puisque les agents sont affectés à d'autres missions ; le champ reste vide et de petits malfaiteurs investissent les lieux. L'insécurité reprend le dessus ; ce sont les filles qui sont particulièrement visées, sacs et chaînes en or volés à l'arraché, agressions et autres insultes sont monnaie courante. Apeurées et terrorisées, ces élèves se font accompagner par leurs parents ou par leurs frères pour se protéger mais cela ne règle pas le problème. Certaines restent seules et sont victimes de ces comportements.
Les plaintes affluent, la police intervient ponctuellement faute d'effectifs suffisants. Un autre phénomène est venu ternir encore plus la
situation; il s'agit des aliénés mentaux qui déambulent à longueur de journée dans les rues d'Annaba.
Ces derniers, parfois violents, s'attaquent aux passants, particulièrement la gente féminine qui s'en plaint souvent. Les étudiantes et les élèves des lycées et collèges ne sont pas épargnées ; elles s'enfuient dès qu'elles aperçoivent l'un de ces fous et se réfugient dans les magasins. Parfois, c'est une véritable course-poursuite qui est engagée et si ce n'est l'intervention des passants, ces pauvres filles auraient été agressées. Sur ce phénomène, à la DAS on nous dit que les services concernés interviennent pour maîtriser ces aliénés et les hospitaliser au niveau de l'EHS Errazi, un établissement spécialisé mais, chaque jour, il y en a de nouveaux qui arrivent d'autres régions du pays. On les met dans un train et ils atterrissent ici, le matin, on les retrouve sur les places publiques ou dans les rues.
La situation n'est donc pas tout à fait maîtrisée en matière de drogue et de sécurité aux alentours des établissements scolaires.
Il faudra que les autorités locales s'y intéressent encore plus en mettant beaucoup plus de moyens à la disposition des services de sécurité censés protéger les biens et les personnes. Il y va de l'avenir de générations entières et, par là même, l'avenir du pays.


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