Entre menaces d'isolement et main tendue, l'Occident cherche une solution diplomatique avec la Russie, accusée d'avoir choisi la guerre, alors que Moscou a désormais un «contrôle opérationnel complet» sur la Crimée. La situation en Ukraine prend des proportions où c'est bien le géopolitique qui prime. L'on se retrouve face à l'un des plus graves conflits entre l'Occident et la Russie depuis la chute du mur de Berlin en 1989. La Russie, qui disposait déjà de forces armées en Crimée fruit d'accord avec l'Ukraine pour l'utilisation du port de Sébastopol par sa flotte de la mer noire, a pris le contrôle intégral de la Crimée, bénéficiant de l'accueil enthousiaste de la majorité de ses habitants. Plusieurs sites stratégiques de la péninsule, bases militaires, aéroports ou bâtiments officiels sont désormais contrôlés par les Russes. L'amiral Denis Berezovski, commandant en chef de la marine ukrainienne, nommé il y a quelques jours par le président par intérim Tourtchinov, a annoncé qu'il prêtait allégeance aux autorités locales pro-russes de Crimée. Ainsi le ton est donné. Vladimir Poutine a montré, à la fois en accueillant sur son sol le président ukrainien déchu, Viktor Ianoukovitch, et en agissant sans la moindre hésitation en Crimée, qu'il entendait bien rester maître du jeu dans sa «zone d'influence». Tout le contraire du camp adverse. Ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne ne semblent prêts à s'embarquer dans une nouvelle «guerre de Crimée» contre la Russie. La réaction reste largement diplomatique, avec le risque de la réédition d'une nouvelle «guerre froide» entre un Occident fragilisé et une Russie qui n'entend plus se faire duper. Une «guerre froide» qui ne ressemblera pas à la précédente, le monde ayant changé et les enjeux idéologiques et planétaires sont différents dans un monde devenu multipolaire. Après l'autorisation, accordée par le Parlement russe, à l'envoi de troupes en Ukraine, la situation se crispe. Le déploiement de forces russes est bien accueilli par la population russophone qui a reçu de plein fouet, la décision de suppression de la loi sur les langues régionales, le week-end de la destitution d'Ianoukovitch. Toute la population russophone s'est sentie, directement, ciblée dans le discours de l'extrême droite ukrainienne très active dans le soulèvement de Kiev. Le maître du jeu Le président russe, Vladimir Poutine, semble vouloir être maître dans un jeu où la Russie joue ses intérêts stratégiques face au Occidentaux. Le Président russe adapte ses actions à l'évolution de la situation. Et il le fait plus rapidement que les Occidentaux, dans une Ukraine où la Russie ne manque pas d'atouts. La Crimée est, de facto, sanctuarisée et le rejet du nouveau pouvoir à Kiev s'étend à d'autres régions de l'Est. Seulement c'est une vraie cassure interne que vit l'Ukraine sur laquelle se superpose un bras de fer entre puissances. Aujourd'hui c'est l'unité de l'Ukraine qui est clairement menacée. Le pays paye le prix des turpitudes et de la corruption de ses politiciens. Une intervention de l'Otan contre la Russie est improbable, tant les conséquences paraissent funestes. Les Occidentaux ont décidé de suspendre leur participation aux réunions préparatoires du G8 de Sotchi, prévu en juin. Des actes s'inscrivant plus dans la symbolique. Dans cet équilibre délicat où les données de la géopolitique traversent toute la région il était difficile de s'attendre à ce que la Russie assiste en spectateur à cette avancée de l'Ouest qui inquiète les russophones d'Ukraine. Le pouvoir installé par l'émeute à Kiev dispose assurément de l'appui d'une partie des Ukrainiens. Mais ce soutien n'est certainement pas celui de tous les Ukrainiens. Après avoir fait tomber un gouvernement légal, le soutien de la majorité de la population fait défaut. Et il est évident que l'Union européenne n'est pas en mesure d'octroyer cette légitimité. Le battage médiatique des Occidentaux enferré dans une grille manichéenne, sans nuance où le bon affronte le méchant ne fait qu'embrouiller davantage la situation. Pourtant les Occidentaux n'ignorent pas qu'encourager cette option dans une Ukraine en pleine crise économique est une option périlleuse. Ainsi, au vu des intérêts en jeu, menacer la Russie de boycotter le G8 prévu en juin à Sotchi sera contre productif. Des commentateurs occidentaux ont fait mine de découvrir la paralysie de l'ONU en affirmant qu'il y aura «un avant et un après-Ukraine». On a vite oublié que l'ONU a déjà été ankylosée en manipulant les résolutions du Conseil de sécurité sur la Libye. La Russie, on l'a vue dans la question syrienne, ne veut plus permettre une réédition de la manœuvre. Encore plus aujourd'hui que le jeu se passe dans sa périphérie immédiate où elle considère que ses intérêts vitaux sont directement menacés. M. B.