La voix poignante de «Na Cherifa», la grande Dame de la chanson kabyle, s'est éteinte, jeudi passé, à l'âge de 88 ans des suites d'une longue maladie qui la taraudait depuis quelques années. L'information a été relayée telle une traînée de poudre sur le web avant d'être confirmée par les différentes ondes des chaînes de la Radio nationale. Plusieurs témoignages et marques de reconnaissance se sont succédés pour rendre hommage à cette grande Dame de la culture algérienne, que la vie n'a pas épargnée depuis sa tendre enfance et jusqu'à son dernier souffle. Hélas, celle qui à tant donné à la culture algérienne, en inscrivant les lettres de noblesse de la chanson kabyle féminine a été tout au long de sa vie marquée par les coups du sort. De son vrai nom Wardia Bouchemlal, Na Cherifa est née à Djâfra, le 9 janvier 1926. Orpheline de père dès son jeune âge, a été très tôt marquée par la vie après le remariage de sa mère. Elle est recueillie par ses oncles, et fredonne ses premiers chants en emmenant paître les moutons. N'ayant pas fréquenté l'école, elle quitte son village à l'âge de 18 ans pour s'installer à Akbou où elle n'est pas restée longtemps, puisqu'elle a vite repris ses valises en direction d'Alger. C'est en cours de route, dans le train, qu'elle a d'ailleurs composé Abkaw wala Khir ay Akbou (Adieu Akbou), le titre qui fera sa renommée. À Alger, elle se consacra à l'art et s'y imposa comme une diva incontournable de la chanson kabyle. Elle rentra durant cette période à la Radio où elle multiplia les passages et les succès qui ont très vite été adoptés par le grand public. Elle a animé la chorale féminine «Ourar L' Khalath» à la radio chaîne2 sous la houlette de «Lla Yamina», comme elle a partagé misères et espoirs avec une autre grande de la chanson, H'nifa. Pendant des années, elle part en tournées en Algérie et enregistre de nombreux succès, de sa composition, ou puisés dans le patrimoine folklorique. Parmi ses incontournables succés, «Abka Wala Khir Ay Akbou », «Aya Zerzour», «Aya Mohand A emi», «Alward ifires» «Azwaw» (réarrangée et interprétée par Idir) et «Sniwa d ifendjalen». Cherifa a composé des centaines de chansons. Si les chants religieux y occupent une place importante, elle chante l'amour, la souffrance et la famille. Ses puissants «Achwik», ébranlent même les cœurs de pierre, tant elle porte en elle toute la mélancolie et la souffrance du monde. Musicalement elle a su admirablement conserver la tradition des chants féminins traditionnels kabyles portés par «Elkhalett», tout en les mettant au goût du jour. À l'indépendance de l'Algérie, Cherifa enregistre surtout des chants patriotiques, et elle continue à se produire jusque dans les années 70, avec un certain succès. Interdite en radio, elle est victime de saisie par l'administration fiscale et se voit réduite à une vie de misère et ironie du sort elle se retrouvera en tant que femme de ménage à la Radio et Télévision algérienne est d'un grand cynisme. Dépossédée de ses droits d'auteur, certains chanteurs pillent allègrement son répertoire engrangeant le succès sur le dos d'une diva réduite à la pauvreté. Au début des années 1990, des admirateurs passionnés par la chanson kabyle, qui ont entendu ses enregistrements des années 60, l'encouragent à reprendre une carrière internationale. Le succès est vite au rendez-vous. Elle commence à vendre, ses CD qui sont très appréciés, et malgré son âge avancé, Cherifa garde sa superbe voix et affiche salle comble à chacun de ses concerts. Grâce à ce soutient elle retrouve les sentiers de la gloire, et se produit en France, en 1993 l'Olympia, en 1994 à l'Opéra Bastille et en 2006 au Zénith de Paris. Chantant la vie sous tous ses aspects, cette Dame qui a tant donné à la chanson algérienne était alitée depuis quelques années à cause de la maladie, et avais lancé un strident appel de désespoir à travers la presse où elle confiait qu'elle se sentait abandonnée depuis que la maladie l'avait touchée. Hélas, jusqu'à son dernier souffle, Na Cherifa qui a transcendé sa douleur et ses souffrances pour offrir aux mélomanes des chants poignants portés par la beauté de sa voix, est partie sur la pointe des pieds, laissant derrière elle un riche patrimoine musical. Na Cherifa sera inhumée, aujourd'hui au village d'Ilmayen à Bordj Bou Arréridj. Adieu l'artiste, puisses-tu enfin trouver la paix de l'âme. S. B.