La Libye, déjà au bord de l'explosion en raison de la non gouvernance qui caractérise ses institutions de transition, sans pouvoir ni influence sur la situation générale, vient de s'enfoncer davantage dans sa crise politique. Le 11 mars dernier, le Congrès a décidé de voter une motion de défiance contre le Premier ministre Ali Zeidan. Ce dernier a fini par se faire évincer après un bras de fer qui l'opposait au CGN depuis de longs mois. Cette guerre presque silencieuse a aggravé la paralysie du pays, en proie au chaos et à des velléités séparatistes. «Le Congrès a voté pour le retrait de la confiance au Premier ministre, Ali Zeidan, avec 124 voix et a chargé le ministre de la Défense, Abdallah Al-Theni, d'assurer l'intérim jusqu'à la nomination d'un nouveau chef de gouvernement dans un délai de deux semaines», a annoncé le Congrès général national. Peu après cette annonce, M. Al-Theni a prêté serment devant le Congrès, selon des images de la télévision nationale. Sitôt, l'ex-Premier ministre limogé, le procureur général libyen a émis, le soir même du 11 mars dernier, une interdiction de voyager à l'encontre d'Ali Zeidan. Selon un document publié par la page Facebook du bureau procureur général, Ali Zeidan a été interdit de voyager en raison de son implication présumée dans une affaire de détournement d'argent public. Quand cette interdiction a été émise, l'ex-Premier ministre avait déjà quitté le pays. Le limogeage de Ali Zeidan a déjà été tenté par le CGN depuis quelques mois, mais le quorum n'a jamais été atteint avant le 11 mars dernier. «Le retrait de confiance du gouvernement», figurait ainsi quotidiennement à l'ordre du jour du Congrès depuis plusieurs mois. Zeidan, un indépendant appuyé par les libéraux, était en effet régulièrement critiqué pour n'avoir pas su rétablir la sécurité en Libye, plus de deux ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Il accusait en retour les islamistes de vouloir l'éjecter pour prendre le pouvoir. Zeidan en bouc émissaire La rue libyenne en ébullition depuis que les milices armées font la loi dans le pays au vu et au su des autorités, a monté de plusieurs crans sa grogne en dénonçant la jonction entre des membres du CGN et les milices armées. Faisant la sourde oreille, le CGN, dont le mandat a expiré en décembre dernier, a décidé de façon unilatérale de prolonger de six mois sa mainmise sur le pays. Cette décision a provoqué la colère d'une grande partie de la population et de la classe politique, qui réclament désormais sa dissolution. La pression grandissante de la rue a contraint le gouvernement de Ali Zeidan à établir une nouvelle feuille de route prévoyant des élections «anticipées» législatives et présidentielle, avant même l'adoption d'une Constitution. Le CGN, qui a vu dans cette décision une manœuvre dirigée contre la plus haute autorité du pays, a donc anticipé en provoquant le départ du Premier ministre. C'est pourquoi le CGN a préféré gagner du temps en ne fixant pas un calendrier électoral précis et en ne s'entendant pas sur le mode d'élection du président : au suffrage universel ou par le Parlement. Mardi dernier, le Congrès a finalement décidé par un vote de laisser le futur Parlement, dont la date d'élection n'a pas été fixée, décider de la nature de l'élection présidentielle. La crise politique s'est exacerbée en raison du chaos entretenu à dessein par certains groupes influents au sein du CGN qui profitent de la situation pour s'enrichir. Sans police ni armée structurée, le pays est livré à des groupes d'ex-rebelles rivaux qui imposent leur loi et pillent le pétrole, qu'ils vendent à partir des terminaux et ports qu'ils contrôlent. Ali Zeidan, qui a tenté vainement de mettre un terme à ce désordre chaotique, a été enlevé par une milice armée en octobre dernier qui l'a séquestré pendant quelques heures avant de le libérer. Le Parlement, dont certains membres contrôlent ces milices, a reproché à l'ex-Premier ministre son inaction face à la crise pétrolière qui dure depuis plusieurs mois, précisément depuis la fermeture des principaux ports pétroliers par des protestataires. Cette crise a atteint son paroxysme lorsqu'un pétrolier nord-coréen a réussi à s'éclipser en mer avec un chargement de pétrole libyen, vendu par les rebelles autonomistes, provoquant la colère de l'Occident qui impose un embargo contre la Corée du Nord. Les pressions américaines en particulier, ont poussé le Congrès a annoncé lundi hier la formation d'une force militaire chargée de «libérer» les sites pétroliers. Une opération qui pourrait aggraver les tensions et rivalités tribales et les velléités séparatistes dans l'est libyen. Le pétrolier sud-coréen qui a été arraisonné par la marine libyenne, a réussi, on ne sait par quel miracle, à prendre la fuite. Les forces de la marine libyennes ont dit avoir perdu sa trace au large de l'Egypte. Le tanker a essuyé des tirs mais, profitant du mauvais temps, a réussi à gagner les eaux territoriales égyptiennes, a précisé Habib Lamine, ministre libyen de la Culture et porte-parole du gouvernement. Le pétrolier de 37 000 tonnes a été aperçu, pour la dernière fois, au large du port égyptien de Marsa Matrouh, a-t-il poursuivi. Le ministre a appelé l'Egypte et les autres pays de la région à prendre des mesures pour son arraisonnement afin de récupérer le pétrole «volé» en Cyrénaïque. La question lancinante qui se pose est de savoir comment un pétrolier a pu semer les navires de la marine plus légers et plus rapides. Les dernières informations à ce sujet sont parvenues hier de Chypre, où deux Israéliens et un Sénégalais ont été interrogés par la police à Chypre dans une affaire liée au chargement illégal d'un pétrolier dans un port de Libye tenu par les rebelles, a indiqué l'agence officielle chypriote CNA. Des garde-côtes de la ville portuaire de Larnaca (Est) ont interrogé samedi dernier les trois hommes, soupçonnés d'avoir négocié l'achat de brut à bord du pétrolier Morning Glory, qui avait pris le large en Méditerranée après avoir réussi à échapper à l'escorte des forces libyennes la semaine dernière. Un tribunal de Larnaca a refusé de lancer des mandats d'arrêt, les autorités chypriotes n'ayant pas la preuve que le délit présumé avait été commis dans les eaux territoriales de l'île méditerranéenne. Selon les médias locaux, les trois hommes sont arrivés vendredi dernier à Larnaca à bord d'un jet privé, ont loué un bateau au port et rejoint le pétrolier pour négocier avec l'équipage. La police a surveillé leurs mouvements et leur bateau a été intercepté à son retour dans les eaux territoriales chypriotes. Les trois hommes ont pris l'avion pour Tel-Aviv dimanche dernier. A la demande des gouvernements libyen et chypriote, le Pentagone a annoncé que les forces spéciales de la marine américaine avaient pris, hier avant l'aube, le contrôle du pétrolier transportant du brut acheté illégalement aux rebelles libyens qui occupent les terminaux pétroliers de l'est du pays. Personne n'a été blessé dans l'opération dans les eaux internationales au sud-est de Chypre contre le navire «qui avait été capturé plus tôt ce mois par trois Libyens armés», selon le Pentagone. Le bateau va «bientôt être acheminé vers un port de Libye». De son côté, la Corée du Nord a rejeté tout lien avec le pétrolier qui arborait son pavillon national. L'armateur du pétrolier Morning Glory est une compagnie égyptienne qui, sous contrat, «a temporairement été autorisée à faire usage du drapeau» de la République démocratique de la Corée du Nord, selon l'agence de presse nord-coréenne, Kcna. La situation chaotique en Libye s'illustre non seulement par l'insécurité, les enlèvement, les assassinat, les attentats et les agressions contre les citoyens, mais aussi par le contrôle quasi-total des ports et terminaux pétroliers notamment ceux situés en Cyrénaïque, dans l'est de la Libye. Trois importants ports, au moins, sont occupés par des milices armées depuis six mois, ce qui a aggravé la situation financière du pays. La compagnie nationale libyenne des pétroles (National Oil Corp, NOC) a déclaré qu'elle poursuivrait en justice quiconque tenterait d'acheter ce pétrole sorti illégalement du pays, où que ce soit. Le gouvernement de Tripoli a lancé mercredi dernier un ultimatum de deux semaines aux rebelles pour se retirer des ports occupés, faute de quoi une offensive militaire sera lancée contre eux. Au-delà du trafic et des gains immenses engendrés, l'enjeu de cette situation est l'autonomie de la Cyrénaïque que revendiquent les rebelles de l'est libyen avec un meilleur partage des revenus du pétrole. Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, les velléités autonomistes ont été ravivées, notamment dans l'est libyen, où certains souhaitent un retour au fédéralisme qui sous la monarchie accordait de grands pouvoirs aux trois régions du pays -Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan. Ils sont dirigés par un ancien chef de l'insurrection contre Mouammar Kadhafi en 2011, Ibrahim Djathran, qui commande à plusieurs milliers de combattants. Seule la Cyrénaïque porte l'étendard de cette revendication qui fait craindre une guerre civile de sécession. L'arme des autonomistes semble être l'étouffement financier du pouvoir central de Tripoli. Les groupes armés d'ex-rebelles contrôlent plusieurs terminaux de pétrole dans l'est du pays, à Zouetina, Ras Lanouf et Sedra. Dirigés par Ibrahim Djathran, un ancien commandant des gardes des installations pétrolières, ces rebelles n'ont cessé de défier le pouvoir central, allant jusqu'à créer, en novembre 2013, un gouvernement autonome en Cyrénaïque. Ils revendiquent notamment le retour à la loi de 1958 qui prévoyait que 15% des recettes des hydrocarbures soient versées à la région d'exploitation. Mais toutes les tentatives de conciliation ont échoué. Ibrahim Djathran n'avait d'ailleurs pas hésité à exhiber des chèques que le gouvernement, selon lui, était prêt à lui signer pour qu'il retire ses hommes. Ce sont ces chèques qui seraient à l'origine, aujourd'hui, des poursuites contre M. Zeidan. Excédé par cette situation, le Congrès avait fini de son côté par annoncer la création d'une force armée chargée tout spécialement de «libérer» les terminaux pétroliers. Un scénario jugé jusqu'à présent peu réaliste en raison des risques. Le résultat de ce désordre ne s'est en tout cas pas fait attendre : avec 250 000 barils par jour, la production pétrolière libyenne a atteint un niveau historiquement bas. Et pour la première fois aussi, le pays a fait récemment savoir à ses partenaires occidentaux qu'il connaissait des problèmes de trésorerie. Ce contexte a facilité les manoeuvres d'un Congrès lui-même très affaibli. Après la décision prise par les députés élus en juillet 2012 de s'autoproroger de dix mois jusqu'en décembre 2014, alors que la fin de leur mandat était prévue en février, le Parlement est devenu à son tour la cible d'un fort mécontentement. Le président du Congrès général national libyen a décidé, le 10 mars dernier, la formation d'une armée pour libérer des sites pétroliers occupés depuis l'été dernier par des rebelles autonomistes dans l'est du pays. L'opération débutera d'ici une semaine. Le porte-parole du CGN, Omar Hmidan, cité par la Libyan News Agency (Lana), a précisé que cette force serait composée d'unités de l'armée et d'ex-rebelles qui avaient combattu le régime de Mouammar Kadhafi en 2011. A. G.