En quelques jours, le Liban a failli basculer dans la plus grave crise militaro-politique depuis dix-huit ans. Les vieux démons se sont réveillés mais se retiennent de mettre tout le pays à feu et à sang. Pourtant, les combats qui se sont déplacés de l'ouest au nord de Beyrouth ont fait une cinquantaine de morts. On serait tenté de dire que le pire est en train d'être évité, les conséquences du blocus politique qui perdure depuis des mois auraient pu causer des pertes humaines des plus dramatiques. C'est dire que le pays du Cèdre s'est considérablement éloigné d'une guerre civile dont les relents ont fait l'objet de nombre de lectures de la part des spécialistes de la politique libanaise. Finalement, l'armée interviendra pour remettre un peu d'ordre. Quelques-unes des décisions du gouvernement de Fouad Siniora seront gelées à la hâte pour obliger le Hezbollah chiite à retirer ses hommes en armes des rues de Beyrouth. Mieux vaut cet «arrangement» de dernière minute que de voir le Liban sentir la poudre et les cadavres. Mais ce déblocage n'est pas la solution idoine aux yeux de l'exécutif en place et de l'Occident, tant que les fidèles de Nasrallah détiendront leur arsenal militaire. Les armes de la résistance devraient-elles être restituées, voire détruites ? Le fait qu'Israël déclare n'avoir aucune intention d'attaquer le Liban, ni de se mêler de ses affaires internes, n'est pas pour mettre en confiance l'opposition anti-gouvernementale conduite par le parti du Hezbollah. Bien que fière de sa victoire sur l'armée d'Olmert, lors de la guerre de juillet, sa direction politique craint de devenir la prochaine cible de la soldatesque d'Israël. Ce que continue de subir le Hamas palestinien dans la bande de Ghaza suffit au parti chiite pour qu'il reste sur ses gardes. Pas question, donc, de se plier aux injonctions de la communauté internationale qui ne cesse de lui réclamer une entière reconversion avant d'épouser les strictes pratiques politiques. Ce serait lui demander de se faire prisonnier au bonheur de ses ennemis. D'abord, à celui du camp de la majorité gouvernementale ; les musulmans sunnites, la plupart des chrétiens et des Druzes, tous se tenant prêts à jouer le jeu démocratique pour couper la main au régime de Damas. Puis, à celui des «mentors» étrangers qui n'ont de soutien que pour le réformisme qu'incarne Fouad Siniora, retranché dans une «zone verte bis». Ce serait le pire aux yeux des hommes forts du Hezbollah et de leurs proches, dont Omar Karami, ancien Premier ministre et actuel responsable de la sécurité de l'aéroport de Beyrouth. Vétéran de l'opposition pro-syrienne, il a appelé ses compatriotes à faire la sourde oreille à toutes les voix de l'étranger qui mettent en accusation la Syrie et l'Iran pour leur ingérence chez le «petit» voisin libanais. Comme si l'actuelle opposition anti-Siniora est quasi sûre de s'opposer stoïquement par les armes à chaque fois que l'indéfectible alliance entre l'Occident et le gouvernement de Beyrouth tenterait de débloquer le statu quo qui n'a que trop duré. Que ses ennemis directs ou indirects poursuivent leur campagne de dénigrement, -le «parti de Dieu» est considéré comme une organisation terroriste-, le Hezbollah n'est pas disposé à accepter toutes les concessions. Jouant au chat et à la souris, il déploiera ses hommes avant de les retirer une énième fois. De la «désobéissance intelligente» en attendant que l'un de ses nombreux «putschs» aboutisse ? Quoi qu'il en soit, il n'apprécie pas le fait que le gouvernement de Beyrouth lui impose une queconque autorité. Et surtout, l'empêcher de développer son propre réseau de télécommunications (contrat confié à une société iranienne) ou lui interdire de tenir l'aéroport de Beyrouth sous surveillance. En gros, le Hezbollah cherche-t-il à préserver son statut «d'un Etat dans l'Etat», légitimant de pareilles assisses par la seule résistance à Israël tel que le prétendent certains experts ? Le parti de Nasrallah se serait laissé prendre au piège de sa propre cause patriotique. Pour la simple raison qu'Israël s'est retiré de tous les territoires libanais, avancent des spécialistes des questions du Proche-Orient, sa résistance ne ressemblant plus dans le fond à celle du Hamas palestinien qui, lui, continue de combattre une occupation israélienne toujours active et destructrice. Aussi, le Hezbollah ne serait pas dans l'actuelle position qu'occupe le parti armé de Sadr en Irak, l'armée d'El Mahdi s'offrant le droit de se rebeller contre la coalition d'armées étrangères. Ce qui agace davantage l'Occident, pris de rage devant ce que constituerait réellement le parti chiite libanais, ce bras armé des mollahs iraniens et de leurs alliés syriens. Ces derniers ne seraient pas si intéressés par la dernière proposition d'Israël quant à la reconduction du Golan sous la médiation des Turcs ? Que ce soit clair, répète le Hezbollah comme d'ailleurs la plupart des mouvements résistants de la région, l'accord de paix au Proche-Orient doit être global. Avant toute reconnaissance d'Israël si un jour cela doit se faire. A moins d'un pacte de non-agression qui redonnerait confiance aux pays dits «durs» et à leurs «armées supplétives», assorti d'une restitution de tous les territoires arabes occupés en 1967. Sans cela et pour juste exemple, le Hezbollah libanais n'adhérerait d'aucune manière à tous les projets dont l'ambition première est la stabilité du Liban. Sinon, sa démocratisation. Comme au tout début de la crise, sa direction politique réitéra ses revendications majeures : un accord sur un gouvernement d'unité nationale et une nouvelle loi électorale avant la nomination de Souleïmane à la tête de l'Etat libanais. Ce qui va à l'encontre du plan de la Ligue arabe, les pays modérés en son sein et les puissances occidentales réclament la nomination du général avant toute chose. Ce qui laisse croire que les antagonistes, aussi bien internes qu'étrangers, vont tous devoir rester dans l'impasse ? Malgré le déploiement de l'armée, qui facilitera l'entrée d'émissaires arabes, il y a un fort risque que ceux-là fassent chou blanc. On en a vu tant d'autres dans un passé récent. Toutefois, aucune date n'a été fixée quant à la venue à Beyrouth de la délégation ministérielle qui, selon une source diplomatique libanaise, ne comprendra pas les représentants égyptien et saoudien. Et sûrement pas celui de la Syrie qui s'est refusé à envoyer son chef de la diplomatie à la réunion urgente du Caire où des dissensions sont apparues lors de la rédaction de la déclaration finale. Rappelant qu'une première mouture a été rejetée par certains Etats car jugée comme une condamnation implicite du Hezbollah. Un Hezbollah qui aurait causé plus de tort aux Libanais que l'armée d'Israël à en croire les déclarations du Premier ministre, Fouad Siniora, lors de son discours à la nation ? Il est temps que tous les amalgames cessent à jamais. Celui-ci comme bien d'autres. A commencer par ceux qui font exprès de confondre résistance et terrorisme. Sauf si, bien sûr, la conférence d'Annapolis admet la présence de toutes les parties, le conflit au Proche-Orient n'est pas l'affaire des seuls Palestiniens et des Israéliens. Ce n'est que par ce biais du dialogue élargi que tous les peuples de la région et d'ailleurs peuvent commencer à espérer l'avènement d'une paix juste et globale. A. D.