La cérémonie d'investiture de Bouteflika, hier, en tant que président de la République pour la quatrième fois depuis avril 1999 est d'abord un défi remporté contre une très forte adversité. En se prêtant à un rituel protocolaire a-minima, exercice pourtant éprouvant d'après les images retransmises en direct, il écope le trop plein d'écume d'une polémique vive, dure et persistante, née du mal qui l'a frappé il y a un an. Le pari, il faut le dire, est réussi et il représente un succès personnel pour lui. Un succès partagé par toutes les forces, à l'intérieur ou en dehors du système, qui l'ont porté, soutenu et encouragé à s'engager dans une entreprise qui s'annonçait hasardeuse et ardue, de maintien à la tête de l'Etat. Ni les références et les évocations fréquentes au fameux article 88 de la Constitution, ni les doutes exprimés sur ses capacités à briguer un autre mandat ne l'ont dévié de l'objectif. Pendant une année pleine, les Algériens ont vécu au rythme des communiqués sur son état de santé et de ses fugaces apparitions sur les écrans de télévision. Le cas de figure est inédit, et pas seulement en Algérie. Dans les hautes sphères du pouvoir, le fleuret moucheté qui exprime habituellement les désaccords entre «décideurs» a laissé place à des passes d'armes qui ont pris à témoin les citoyens qui n'en demandaient pas tant. L'avenir dira dans quelle mesure cette expression publique d'un conflit entre le roi et les réputés «faiseurs de rois» a contribué à désacraliser les forteresses jusque-là intouchables et ramené chacune des pièces majeures de l'édifice institutionnel à leur juste place. Il est certes trop tôt pour en tirer la leçon d'une percée démocratique en Algérie, mais cela pourrait et devrait être un passage obligé vers la construction de l'Etat de droit et l'avènement d'un régime civil. Dans son discours distribué aux journalistes, le Président impétrant a voulu donner l'image d'un homme conscient de ses charges et qui a écouté les doléances et réclamations exprimées avec insistance par de nombreux acteurs de la scène politique et de la société civile. Il s'est engagé à détailler dans les prochaines semaines et mois les décisions prises en ce sens. Ces décisions se résument, en fait, à un diptyque à deux battants osmotiques, soit «un chantier des réformes politiques qui aboutira à une révision constitutionnelle consensuelle». À ce stade, pas la moindre allusion à une probable transition politique en amont ou en aval de ce processus des réformes. Question de premier ordre et lancinante, à en juger par la force du credo de l'opposition politique, regroupant des partis à fort ancrage social, et qui n'entrevoit de réformes dignes de ce nom qu'à travers une étape de «transition démocratique». Il est impossible que le Président et ses conseillers n'aient pas entendu cette revendication cardinale portée sous des habillages différents, mais ressemblants par la partie la plus significative de l'opposition. On peut admettre que le Président n'a pas abattu toutes ses cartes dans le premier discours qui étrenne son nouveau mandat. Mais il est raisonnablement prévisible que si cette revendication majeure est ignorée d'emblée par le pouvoir, «le chantier des réformes» se ferait alors en vase clos avec les mêmes acteurs-clients du système et un résultat connu d'avance. Pourquoi une éventuelle concertation nationale risquerait-elle de buter sur cette idée de transition ? Pour une raison bien simple et qui tient à une volonté première d'enterrer un système ayant atteint ses limites et d'entrer dans un cycle de mutations qualitatives qui signerait la rupture et ouvrirait la voie à l'avènement d'un régime politique démocratique et non pas un système reconduit après époussetage. D'autre part, une «révision constitutionnelle consensuelle» pourrait se faire de deux manières : dans la cacophonie improductive des «particules» et groupes habitués aux «zerdas politiques» du régime ou dans les débats de qualité avec des gens et des personnalités acceptés par la société. Qui mieux que des députés élus pour une telle mission ? Alors quid des élections législatives anticipées ? On attendra, le Président a promis de décliner prochainement sa feuille de route. A. S.